Un an depuis la révolte d’octobre en Irak

Rapport du Geneva International Centre for Justice

1er octobre 2020

Écrit par Hannah Bludeau/GICJ

Traduit par Camille Miguet/GICJ

Résumé 

Une année est passée depuis que les manifestations en Irak ont commencé le 1er octobre 2019 et la population irakienne continue sa lutte pour des changements fondamentaux et pour la justice.

Avant 2019, les manifestations déclenchées par l’augmentation de violations graves et systématiques perpétrées par les autorités irakiennes se sont produites sans cesse en Irak. Les manifestants ont demandé l’interdiction de la peine de mort et de la torture dans les prisons, la libération des personnes détenues arbitrairement et que le gouvernement apporte des informations aux familles des personnes disparues arrêtées durant les années antérieures. Les déplacements forcés, la corruption répandue, le manque de services essentiels et de perspectives d’emploi, les mauvaises conditions de vie et l’absence de responsabilité des responsables gouvernementaux quant aux services publics médiocres et à leur exploitation des richesses de l’Irak, ont également été le catalyseur de manifestations de masse dans tout le pays.

Les manifestations du 1er octobre ont amené une évolution des exigences. Au centre de ces demandes se trouve le démantèlement du système de gouvernement sectaire de l’Irak qui discrimine selon des quotas ethniques. Les manifestants ont au contraire développé une vision différente pour l’Irak qui serait celle d’une nation pour tous ses citoyens sans tenir compte de leurs origines ethniques, leur croyance religieuse ou milieu sectaire et que le gouvernement devrait être un véritable système politique démocratique et durable. Depuis que les manifestants réclament un changement fondamental de leur système, les manifestations ont continué malgré le changement de premiers ministres et de gouvernements officiels.

Les manifestants demandent également que tout futur gouvernement soit libre de ceux qui ont participé au système de gouvernement sectaire depuis 2003 (ministres, chefs de milice, membres du parlement, gouverneurs, etc.), étant donné qu'ils sont tous liés à des violations des droits de l’homme, y compris de meurtre et de torture, et à un réseau de corruption qui a pillé les richesses et les ressources de l’Irak. Beaucoup de ces responsables gouvernementaux ont également été accusés de trafic d’êtres humains. À moins qu’ils ne soient retirés du pouvoir et tenus pour responsables, les responsables gouvernementaux poursuivront les violations systématiques des droits de l’homme et la corruption qui paralysent l’Irak.

Des manifestants tenant une affiche indiquant : « Les parties au pouvoir ne représentent pas le peuple irakien ; au contraire, ils volent au nom de la religion. Nous sommes ici pour réclamer les droits des pauvres et des martyrs ». 

Au cours de ces manifestations, les manifestants ont fait l’objet de graves violations par les forces de sécurité et milices irakiennes.

Malgré la pandémie de COVID-19, les manifestations ont persisté et les manifestants restent forts face à l’adversité. Pour autant, cela ne veut pas dire que la communauté internationale doit rester silencieuse sur les graves violations et crimes commis à leur encontre. L’importance de leur cause et le maintien de son élan leur donne le devoir de continuer à protester et à se battre tout en prenant les précautions nécessaires pour se protéger du virus.

Depuis la première heure des manifestations, Geneva International Centre for Justice (GICJ) a continué de donner des informations sur les violations et d’attirer l’attention des organes internationaux compétents. GICJ a continué à travailler dans le but d’œuvrer pour que les auteurs de ces crimes répondent de leurs actes, et pour exiger la protection des manifestants.

Pour cette raison, GICJ réitère son appel pour l’établissement d’une commission internationale d’enquête pour examiner toutes les violations des droits de l’homme en Irak dans le but de tenir les coupables pour responsables et obtenir justice pour les victimes.

À l’occasion du premier anniversaire de la Révolution de la jeunesse irakienne, le GICJ appelle la communauté internationale à écouter attentivement toutes les voix des jeunes irakiens et à comprendre leurs réclamations pour changer les choses. Tout ce qu’ils désirent est un meilleur futur afin qu’ils poursuivent leurs rêves et leurs espérances qui ont été détruits au cours des 17 dernières années par les partis sectaires. Ceux-ci les ont forcés à vivre sans éducation appropriée, opportunités d’emploi et besoins fondamentaux, les laissant sans espoir pour l’avenir. Maintenant qu’ils ont sacrifié leur vie, le temps est venu pour la communauté internationale de les aider à poursuivre leurs buts et leurs aspirations pour leur assurer un avenir meilleur. 

Contexte des violations contre les manifestants

Au cours des dernières années, GICJ a décrit de graves violations contre les manifestants commises par diverses forces appartenant aux autorités irakiennes (armée, police, police fédérale, forces de sécurité, unité antiterroriste, forces de l’ordre). Parmi toutes ces forces, les milices ont été au premier plan des violations. Celles-ci ont continuellement soumis les manifestants à la violence avec toute sorte d’armes, tandis que les manifestants se contentaient de brandir les drapeaux.

Le compte des victimes a tendance à varier. La Mission d’assistance des Nations Unies pour l’Irak (MANUI) et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) ont enregistré la mort de 487 manifestants et de 7715 cas de blessures entre le 1 er octobre 2019 et le 30 avril 2020. Le Conseil judiciaire suprême d’Irak a informé la MANUI et le HCDH que l'appareil judiciaire avait reçu 524 plaintes pour des décès et 3424 plaintes liées aux manifestations. Le 31 juillet 2020, le premier ministre irakien a indiqué que les violences commises lors des manifestations jusqu’à cette date ont tué au moins 560 personnes, y compris des individus et du personnel de sécurité.

Selon nos sources sur les sites des manifestations, GICJ indique que le nombre des personnes tuées depuis octobre 2019 a dépassé les 800 avec plus de 25 000 blessés, parmi lesquels 4000 sont handicapés à vie.

GICJ a rendu compte de nombreux cas d’enlèvements, d’assassinats et de tentatives d’assassinat. Un grand nombre de manifestants, défendeurs des droits de l’homme et journalistes ont été victimes de disparitions forcées. Il est quasiment certain que les enlèvements sont effectués sur ordre du gouvernement irakien, qu’ils soient perpétrés par le personnel de sécurité du gouvernement ou par des milices affiliées.

La plupart des cas se produisent alors que ces militants rentrent chez eux après les manifestations.

Environ 700 manifestants ont fait l’objet d’enlèvements. Environ 150 d’entre eux sont toujours portés disparus.

Ces différents chiffres ne doivent pas faire oublier qu’en peu de temps, des milliers de manifestants innocents ont été et continuent de faire l’objet de graves violations des droits de l’homme.

Les manifestants, y compris les écoliers et les étudiants, ont été soumis à une violence extrême et à l’usage de la force, notamment à des coups de matraques en caoutchouc, de pierre et de bâton électrique. Les forces de sécurité ont détenu arbitrairement d’innombrables manifestants ayant été soumis à des formes brutales de torture et à des menaces contre leur famille.

De nombreux détenus ont été seulement autorisés à informer leur famille du lieu où ils se trouvaient qu’après plusieurs jours. Le lieu où se trouvent beaucoup d’entre eux reste inconnu, ce qui a causé et continue de causer beaucoup de détresse aux membres de la famille. Les détenus n’ont pas été informés des raisons de leur arrestation et les arrestations ont été menées sans aucun mandat. Les interrogatoires ont été réalisés sans la présence d’un avocat et les détenus n’ont pas amenés devant un juge dans les délais requis par la loi. Les personnes qui ont été arrêtées ont été soumises à la torture et à des traitements inhumains ou dégradants.

Les forces gouvernementales et les milices n’attaquent pas seulement les leaders et militants des manifestations, mais ils ciblent aussi intentionnellement les médecins dont le seul objectif est d'aider ceux qui ont déjà été victimes de la violence.

Depuis le début du mois d’août 2020, GICJ est témoin d’une recrudescence des enlèvements, des assassinats et des intimidations. Toutes les attaques se sont produites près des installations de sécurité et des quartiers généraux, ce qui confirme que les forces de sécurité n’ont pas réussi à protéger des civils innocents et ont plutôt permis aux milices de procéder à des assassinats systématiques. Outre les assassinats, les milices ont également tenté de faire taire l’opposition et d’empêcher les militants d’acquérir une influence politique.

Le rôle des femmes irakiennes : pionnières de l'activisme politique 

Des femmes irakiennes de tout âge ont joué un rôle essentiel dans les manifestations. Initialement, elles ont été entravées dans leur participation, par crainte pour elles-mêmes et leur famille, mais aussi en raison de la situation en matière de sécurité, des menaces et des normes socioculturelles. Pour autant, jour après jour, elles sont devenues des personnalités de premier plan dans les manifestations. Les femmes irakiennes n’ont pas seulement mis au défi ces difficultés mais elles les ont activement surmontées. Les droits des femmes ont diminué depuis 2003 et ces manifestations ont apporté une tribune permettant aux femmes de retrouver et défendre leurs droits et libertés.

À travers leur participation, elles ont pu se sentir davantage en sécurité et apaiser leurs craintes concernant la participation de leurs proches, ce qui a encouragé la participation de ces derniers. Un grand nombre de femmes ont perdu des fils ou des maris dans la violence des manifestations mais ont néanmoins continué à protester. Leur inclusion a ainsi donné une impulsion aux manifestations, encourageant d’autres personnes à y participer également.

Parmi les nombreux rôles que les femmes ont joués pendant les manifestations, celles-ci ont apporté les premiers soins aux blessés. Elles ont également préparé les vivres (nourriture et boissons) pour les manifestants, elles ont organisé l’aménagement des sites de manifestation et ont collecté des dons pour soutenir leur cause. Les femmes irakiennes ont également organisé des marches et manifestations de femmes, en appelant à la fois aux droits des femmes ainsi qu'aux droits de chacun. Le rôle des femmes irakiennes en tant que femmes vulnérables a été transformé en rôle de pionnier de l’activisme politique. Beaucoup d’entre elles ont été soumises à des enlèvements, de graves blessures ou à des assassinats.

Donya, qui est devenue largement connue pour être la vendeuse de mouchoirs, a donné des mouchoirs aux manifestants blessés. Au début, elle avait prévu de les vendre dans les manifestations, ce qui constituait pour elle sa seule source de revenus. Cependant, durant les premiers jours de manifestation, dès lors qu’elle a été témoin de la violence et qu’elle a vu les nombreux manifestants gravement blessés, elle s’est mise à les distribuer. Elle a été saluée pour sa générosité et sa gentillesse. Ses apparitions pendant les manifestations ont inspiré de nombreuses femmes à participer.

La réponse de l'ONU

La Mission d’assistance des Nations Unies pour l’Irak (MANUI) a publié cinq rapports sur les manifestations, décrivant la violence et les violations des droits de l’homme commises contre les manifestants. GICJ tient à mentionner que les informations fournies par la MANUI ne sont pas entièrement fiables compte tenu des conditions de sécurité dans lesquelles la Mission opère. Néanmoins, GICJ se réfère aux rapports publiés par la MANUI, car ils donnent un aperçu de la gravité des violations.

La Représentante spéciale de l’ONU Jeanine Hennis-Plasschaert rend visite aux manifestants blesss à l’hôpital al-Kindi à Bagdad, Irak en novembre 2019.

La MANUI a démontré que, dès le début, les forces de sécurité ont répondu aux protestations pacifiques par une force excessive, des munitions à balles réelles et l’utilisation indiscriminée et disproportionnée d’armes à létalité réduite. Durant les premières semaines de manifestation, plus précisément du 1er au 9 octobre 2019, la MANUI a indiqué que la violence avait causé au moins 157 morts et 5494 blessés. 

La MANUI a signalé que les manifestants ont été délibérément ciblés par des individus sur les toits et dans les bâtiments inoccupés, appelés « snipers ». La Mission a également indiqué que la « gravité des gaz lacrymogènes » a rendu les zones de la place Tahrir inaccessibles et par conséquent, les volontaires et les médecins évacuaient constamment les manifestants blessés dans les ambulances et les Tuk Tuks. Certains de ces volontaires et médecins ont été ensuite touchés par des bombes lacrymogènes. Les ambulanciers se sont fait tirer dessus par les forces de sécurité. Les forces sont également entrées dans les hôpitaux de Bagdad pour intimider le personnel médical, interroger et arrêter les manifestants blessés.

La MANUI a également fait référence à la suppression de la couverture médiatique des manifestations, constatant des attaques contre les médias, des ordres de ne pas filmer ou de ne pas couvrir les manifestations, des arrestations arbitraires de journalistes ou encore des cas d’harcèlement, d’intimidation, de confiscation illégale de matériel, la suppression de séquences vidéo ou de photographies et le blocage d’Internet et des réseaux sociaux.

Le 23 mai 2020, la MANUI et le HCDH ont publié un rapport documentant les cas de 123 personnes qui ont disparu entre le 1er octobre 2019 et le 21 mars 2020. La MNUI et le HCDH ont signalé l’arrestation de 3000 manifestants par les forces de sécurité et ont exprimé leur inquiétude concernant la privation arbitraire de liberté, la liberté d’expression et de réunion pacifique et les garanties de procédure.

La MANUI et le HCDH ont affirmé que le gouvernement irakien avait « échoué à faire des efforts concrets pour protéger les personnes en danger ou pour rechercher la responsabilité des personnes coupables ». L’ONU a estimé que « l’absence de responsabilité pour ces actes continue de contribuer à l’environnement omniprésent d’impunité à propos des violations et abus liés aux manifestations ». Le rapport détaille la réticence manifeste du gouvernement d’enquêter sur les enlèvements et de localiser les personnes, malgré le fait que les familles aient déposé des plaintes officielles.

Jeanine Hennis-Plasschaert, la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies pour l’Irak et chef de la MANUI, a affirmé le 27 août 2020 que « la poursuite du ciblage et de l’assassinat de militants et de défenseurs des droits de l’homme » équivaut à « un silence délibéré des voix pacifiques ». La MANUI et le HCDH ont également affirmé que les attaques avaient pour but de créer un environnement de peur et d’intimidation afin de décourager les autres personnes de participer aux manifestations.

Les menaces et intimidations gouvernementales

Sur la base d’informations et de contacts quotidiens avec de nombreuses organisations et comités, GICJ a indiqué qu'un grand nombre de politiciens, notamment des membres du Parlement, alimente le ciblage systématique et l’augmentation des actes de violence contre les militants et les défenseurs des droits humains. Des entretiens télévisés enregistrés avec l’ancien premier ministre Nouri al-Maliki et le membre du Parlement, Kadhum al-Sayadi, révèlent l’encouragement, la justification et l’approbation de ces attaques. Ces deux personnes ont, dans des interviews et de nombreuses publications sur les réseaux sociaux, nié l’identité des victimes en tant que militants, les qualifiant plutôt d’agents étrangers américains et donc de menace pour l’Irak. Ces fausses affirmations constituent une tentative de discréditation des victimes et de justification des attaques. 

Les médias iraniens ont indiqué l’étendue de l’implication de l’Iran dans ces attaques. Dans une tentative de légitimer les assassinats, l’agence de presse iranienne Mehr, a prétendu à tort que les manifestants étaient recrutés par le consulat des Etats-Unis à Basra. En présentant les militants comme des agents étrangers, les médias iraniens ont laissé entendre que les manifestants souhaitaient nuire aux relations irakiennes et à la réputation des milices soutenues par l’Iran.

Il convient de mentionner brièvement deux articles publiés par Mehr, qui mettent en évidence le ciblage des militants. Bien avant le début des assassinats, les noms et photos des personnes récemment assassinées ont été publiés dans un article datant de 2018. Les militants y étaient décrits comme des pions dans un projet américain visant à acquérir une influence politique dans la région et à miner les relations irako-iraniennes. Dans une interview avec le porte-parole du Al-Sadiquon Bloc, Mahmoud al-Rabibee, publiée le 24 août 2020 par Mehr, les Etats-Unis ont été accusés d’être derrière les assassinats et d’avoir tenté de créer le chaos à Bassorah pour placer la ville sous influence américaine.

L’article de 2018 est invoqué chaque fois qu’un militant est assassiné pour tenter de prouver ses liens ou son soutien aux Etats-Unis et ainsi justifier l’attaque.

L’article ci-dessus a été publié par le journal iranien Mehr en 2018 et inclut une image du Dr. Reham Yacoub qui a été assassinée le 19 août 2020, confirmant que les milices liées à l’Iran sont derrière les assassinats de militants.

En proie à la corruption et accablé par l’ingérence systématique du gouvernement et des milices, le pouvoir judiciaire est incapable d’offrir aux victimes une réparation ou de tenir les auteurs pour responsables. Le droit à un procès équitable n’a donc pas été seulement violé mais effectivement éradiqué. Les avocats font constamment l’objet de menaces et d’intimidations de la part des autorités et en particulier par le bureau du premier ministre et le premier ministre lui-même.

Cette situation en Irak dure depuis des années. En effet, en tant qu’ancien Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Navi Pillay, avait déclaré en 2013, « le système de justice criminelle en Irak ne fonctionne toujours pas correctement, avec de nombreuses condamnations fondées sur des aveux obtenus sous la torture et les mauvais traitements, un pouvoir judiciaire faible et des procédures de jugement qui ne répondent pas aux normes internationales ». Navi Pillay décrivait le système judiciaire irakien comme « trop sérieusement défectueux pour justifier une application même limitée de la peine de mort, sans parler des dizaines d’exécutions à la fois ».

Des années plus tard, des mots similaires ont été réitérés. Le 27 août 2020, en référence à l’impunité totale dont jouissent les auteurs des violations, le chef de la MANUI a déclaré : « sans responsabilité, les crimes commis resteront de simples statistiques, des chiffres sur une page ». L’impunité et l’absence totale de responsabilité perpétuent les graves violations des droits de l’homme qui sont encore exacerbées par l’absence d’un système judiciaire indépendant.

Le rôle des milices

Selon des informations crédibles reçues par le GICJ, les milices sont fortement impliquées dans les violations contre les militants. Équipés d’armes et véhicules militaires, elles ont pris d’assaut les zones de manifestations, pas seulement à Bagdad, mais également dans d’autres provinces. Outre l’utilisation de balles réelles contre les manifestants qui a fait d’innombrables morts et blessés, les milices ont également utilisé diverses tactiques pour intimider les manifestants et les empêcher de participer, comme l’envoi de messages de menace sur les réseaux sociaux, à leur domicile et par des appels téléphoniques, ainsi qu’à l’encontre de leur famille.

Les milices sont également responsables de l’enlèvement de nombreux militants des droits humains. Certains d’entre eux ont été libérés après un interrogatoire pendant lequel ils ont été torturés et contraints de signer des documents les obligeant à déclarer qu’ils ne participaient plus aux manifestations.

Les menaces et les intimidations contre les militants, en particulier contre les personnes qui ont été assassinées, ont été perpétrées par les chefs des milices al-Hashd al-Shaabi, principalement Asa’ib Ahl al-Haq, la milice Hezbollah, la Brigade Badr et Saraya Al-Salam.

Ces chefs de milice accusent souvent ouvertement les militants d’être des agents américains ou d’autres pays, et ont diffusé ces allégations, y compris des menaces, sur les plateformes numériques.

Qais al-Khaz’ali – fondateur de la milice Asa’ib Ahl al-Haq.

Il est très connu pour avoir commis de grave violations des droits de l’homme à l’encontre du peuple irakien. Celui-ci et sa milice participent activement dans le ciblage généralisé et systématique des défenseurs des droits humains et des militants en Irak, dont d’innombrables assassinats et enlèvements.

Hadi al-Amiri – chef et secrétaire général de l’organisation Badr, milice et parti politique chiites soutenus par l’Iran et créés en Iran.

Hadi al-Amiri a commis un grand nombre de graves violations des droits de l’homme. Il est également responsable de violations contre les manifestants, y compris les intimidations, enlèvements et assassinats.

Muqtada al-Sadr – chef de la milice Saraya al-Salam, connue sous le nom de « Brigades de paix ».

Il est actuellement à la tête d’un bloc majoritaire au Parlement irakien. Muqtada al-Sadr et sa milice contrôlent les manifestations et manipulent les demandes des manifestants. Ils sont également responsables de meurtres de nombreux manifestants et d’opposants politiques. Plus particulièrement, le 9 septembre 2020, ils ont tué la famille de Ali Ja´far Ali Al-Sultani, dont sa femme, ses deux filles et son fils, après que Al-Sultani ait critiqué Al-Sadr sur les réseaux sociaux.

Abu Mahdi al-Muhandis – assassiné par les Etats-Unis près de l’aéroport de Bagdad le 3 janvier 2020.

Son vrai nom est Jamal Jafaar Mohammed Ali Ebrahimi, il est un célèbre criminel international et chef adjoint du « Comité de mobilisation populaire » avec des liens étroits avec le chef de la force iranienne Quds. Les manifestants l’ont accusé d’avoir planifié plusieurs attaques contre eux avec Qassem Soleimani.

Qassem Soleimani – assassiné par les Etats-Unis près de l’aéroport de Bagdad le 3 janvier 2020.

Il est le commandant en chef de la force iranienne Quds, une branche du Corps des gardiens de la révolution. Il a été un complice fondamental des crimes commis en Irak, a coordonné ses actions avec Nouri Al-Maliki, Hadi Al-Amiri et Abu Mahdi Al Muhandis. Il a agi en tant que tacticien et commandant de plusieurs opérations menées par les milices contre les manifestants.

Ces photos illustrent la scène du meurtre brutal de la famille Ali Ja’far Ali Al-Sultani. La photo de gauche montre que les meurtriers ont écrit sur les murs de la maison familiale que le crime a été commis par les Brigades de la paix et les soldats d’al-Sadr. La photo de droite montre le fils d'Ali Ja'far Ali Al-Sultan, Abbas, né en 2013.

Le premier ministre irakien se trouve impuissant face aux milices car elles sont mieux armées que les forces de sécurité irakiennes. Ces milices ont confisqué l’artillerie lourde et l’armement moderne et sont soutenues par l’Iran, ce qui fait d’elles une puissance majeure pour défier les forces de sécurité de l’Etat et influencer le gouvernement et le paysage politique irakiens. Les milices influencent tous les aspects du gouvernement irakien, y compris les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. 

Les actions de Geneva International Centre for Justice

GICJ a continuellement récolté des informations concernant des violations des droits de l’homme contre les civils, militants et défenseurs des droits humains en Irak, et attiré l’attention des organes et représentants onusiens compétents pour ce type de violations ; plus particulièrement le Rapporteur Spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, le Haut-Commissaire aux droits de l’homme et le Représentant spécial du Secrétaire général pour l’Irak et Chef de la MANUI. Les efforts de GICJ n’ont pas été vains. En partie grâce à tous ces efforts, les violations contre les manifestants ont été traitées par les représentants des Nations Unies et les titulaires de mandats spéciaux.

Même avant que les manifestations d’octobre commencent, dans une lettre du Haut-Commissaire aux droits de l’homme du 14 février 2019, GICJ a demandé au Haut-Commissaire de prendre des mesures immédiates sur trois questions urgentes en Irak ; notamment sur les disparitions forcées, la situation des prisons et celle des défenseurs des droits humains dans le pays. Le GICJ a demandé au Haut-Commissaire de faire pression sur le gouvernement irakien pour qu’il libère les détenus, ferme les prisons secrètes et travaille avec la communauté internationale pour interdire toutes les milices en Irak dans le but de mettre un terme au flux incessant de violations des droits de l’homme perpétrées par les milices.

Compte tenu de l’aggravation de la situation des exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires par les forces de sécurité et milices irakiennes, GICJ a envoyé une lettre le 28 août 2019 au Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, en sollicitant l’attention et l’assistance urgentes du Rapporteur spécial.

Dès la première heure des manifestations, GICJ a commencé à recevoir des informations concernant des violations commises contre des manifestants par les forces gouvernementales. Depuis, GICJ est resté en contact quotidien avec son réseau sur le terrain en Irak.

Suite à la mort de plus de 150 manifestants et plus de 6200 blessés au cours de la première semaine de manifestations, GICJ a envoyé une lettre au Haut-Commissaire aux droits de l’homme le 7 octobre 2019 pour l’informer des principales revendications des manifestants et des violations perpétrées contre eux depuis le 1er octobre. GICJ a confirmé au Haut-Commissaire qu’il ne s’appuyait pas sur des déclarations du gouvernement, dans la mesure où il est impossible de compter sur celui-ci pour fournir des informations crédibles et prendre des mesures concrètes. En outre, GICJ a affirmé que l’Irak violait systématiquement ses obligations découlant du Pacte international des droits civils et politiques (PIDCP). Réitérant son appel à tous les organes onusiens pour qu’ils prennent des mesures immédiates sur ces questions urgentes, GICJ a exhorté l’ONU d’envoyer une commission d’enquête internationale indépendante pour mener des investigations sur ces violations. De plus, GICJ a demandé au Haut-Commissaire de faire pression sur le gouvernement pour qu’il cesse d’utiliser la violence contre les manifestants et de travailler avec la communauté internationale pour interdire toutes les milices en Irak.

Le même jour, le 7 octobre 2019, GICJ a envoyé une lettre aux titulaires de mandats spéciaux, dont le Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, le Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, les informant de la situation en Irak et leur demandant d’intervenir.

Le 29 octobre 2019, les experts des droits de l’homme de l’ONU ont demandé aux autorités irakiennes de mettre fin à la violence contre les manifestants et de tenir les auteurs des violations pour responsables.

Les experts ont déclaré que les défenseurs des droits de l’homme avaient reçu des avertissements et des menaces de mort et avaient été la cible de tirs de snipers.

Les premières semaines de février ont été marquées par une augmentation radicale du nombre de manifestants tués par le gouvernement irakien, les forces de sécurité et les milices, plus particulièrement par Saraya Al-Salam qui a pris d’assaut plusieurs sites de manifestations dans la capitale de Bagdad et dans d’autres villes comme Basra, Nasiriya, Najaf. De ce fait, GICJ a demandé une action urgence dans une lettre adressée au Haut-Commissaire aux droits de l’homme le 19 février 2020. GICJ a souligné que le temps était venu pour une action internationale en vue d’une enquête indépendante et complète pour garantir la responsabilité des criminels en Irak.

Le 13 mai 2020, dans une lettre du Haut-Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU au Ministre des affaires étrangères de la République d’Irak dans le cadre de l’examen périodique universel de l’Irak, le Haut-Commissaire a demandé qu’une enquête soit menée sur les incidents liés aux manifestations depuis le 1er octobre 2019, affirmant que le droit à la liberté d’expression et à la liberté de réunion pacifique devait être protégé et qu’un projet de loi sur la liberté d’expression, de réunion et de manifestation pacifique devait être adopté.

Soulignant l’augmentation du nombre d’exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires perpétrées par les forces de sécurité et milices irakiennes depuis le début des manifestations en octobre 2020, GICJ a envoyé une autre lettre au Rapporteur Spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires le 28 juillet 2020, mentionnant plus particulièrement l’assassinat de M. Hashim al-Hashimi.

La recrudescence des assassinats suscite des appels urgents

Le mois d’août 2020 a été marqué par une forte augmentation des enlèvements et assassinats de militants et manifestants en Irak, ce qui a incité GICJ à demander une aide d’urgence dans deux lettres distinctes au Haut-Commissaire aux droits de l’homme et au Représentant spécial du Secrétaire général pour l’Irak et chef de la MANUI le 18 août 2020.

Moins d’une semaine plus tard, le 25 août 2020, GICJ a adressé des lettres de suivi au Haut-Commissaire et au Représentant spécial à la lumière de la recrudescence des assassinats et des tentatives d’assassinat, portant le nombre de victimes à plus de 20 en moins d’une semaine. GICJ a insisté sur le caractère impératif de l’intervention du Haut-Commissaire et de tous les organes des Nations Unies compétents en matière de droits de l’homme. La principale demande est celle de la nécessité urgente d’une action internationale dans le but de dissoudre les milices en Irak car elles sont les principales responsables de ces violations des droits de l’homme.

Les graves violations des droits de l’homme contre les manifestants, dont les opérations d’assassinat, les disparitions forcées et les ciblages systématiques des militants, journalistes et défenseurs des droits humains, ont été le principal sujet d’un appel urgent que GICJ a reçu le 21 août 2020 de 134 militants, défenseurs des droits de l’homme et observateurs irakiens de tout le pays. Ils ont exprimé leur profonde inquiétude face à la détérioration de la situation sécuritaire et ont appelé les organes des Nations Unies chargés des droits de l’homme à intervenir.

GICJ porte les violations devant le Conseil des droits de l’homme :

Outre ces lettres adressées aux représentants de l’ONU, GICJ a également attiré avec persistance l’attention du Conseil des droits de l’homme concernant la situation en Irak, avant et après le début des manifestations le 1er octobre 2019. GICJ a fait de nombreuses déclarations orales et écrites pour attirer l’attention du Conseil des droits de l’homme sur la situation et demander qu’il prenne des mesures urgentes pour remédier aux violations.

La 41ème session du Conseil des droits de l'homme, du 24 juin au 12 juillet 2019

Lors de cette session, GICJ a fait deux déclarations conjointes concernant la situation des droits de l’homme en Irak. GICJ a souligné l’échec du système judiciaire à fournir un contrôle efficace sur l’exercice arbitraire, inhumain et extrajudiciaire du pouvoir par l’Etat. GICJ a demandé au Haut-Commissaire de poursuivre l’enquête sur ces graves violations des droits de l’homme et a invité le Conseil à rechercher une coopération internationale pour dissoudre toutes les milices en Irak dans le but de rétablir l’Etat de droit.

GICJ a ensuite présenté des déclarations écrites sur la corruption et l’affaiblissement de l’Etat de droit en Irak. Malgré l’adhésion de l’Irak à la Convention des Nations Unies contre la corruption, GICJ a souligné le manquement de l’Irak à ses engagements internationaux et à son obligation de sauvegarder les droits de son peuple. La corruption apparaît dans les affaires, la gouvernance ; les secteurs du pétrole, de l’électricité et de la santé, entre autres, et prend la forme de pots-de-vin, de contrats gouvernementaux illégaux et d'effectifs gouvernementaux frauduleux (surestimation du nombre d’employés à recevoir et encaissement d'un budget plus important pour le service en question). GICJ a souligné que l’ampleur de la corruption viole le droit des personnes à l’accès à la santé et à un niveau de vie adéquat, ainsi que le droit des enfants à l’éducation. En effet, la corruption et l’absence d’Etat de droit en Irak constituent la force motrice des manifestations.

Lors de la session, GICJ a organisé un évènement parallèle sur l’emprisonnement et la torture le 4 juillet 2019 durant lequel M. Ahmad Qureshi, chercheur et écrivain ayant une vaste expérience professionnelle en Irak, a parlé de « l’industrie de la torture » dans ce pays. En s’appuyant sur les opérations de torture commises sous l’occupation américaine, Qureshi a déclaré que le niveau de contrôle auquel étaient confrontés les Etats-Unis pour leurs abus n’a jamais été appliqué au nouveau gouvernement irakien et aux forces armées, qui étaient censés mener des enquêtes avec le même niveau de responsabilité que les Etats-Unis. Même après que le rôle des forces étrangères dans la torture et les mauvais traitements des prisonniers aient été réduits, Qureshi a observé que les forces armées irakiennes et les milices alliées ont poursuivi certaines des pires pratiques en toute impunité. En effet, il a affirmé que les nouveaux dirigeants en Irak d'après 2003 ignoraient totalement leur responsabilité en tant que chefs du gouvernement en termes d’engagements internationaux visant à interdire la torture et les mauvais traitements des prisonniers, ce qui a conduit à d’embarrassantes situations diplomatiques pour les responsables irakiens. Qureshi a terminé sa présentation en affirmant que tant que le gouvernement irakien ne reconnaîtra pas son rôle et ne permettra pas aux populations autochtones d’enquêter, il n’y aura pas de responsabilité engagée contre les auteurs de crimes de torture et l’impunité continuera en Irak.

La 42ème session du Conseil des droits de l’homme, du 9 septembre 2019 au 27 septembre 2019

GICJ a fait quatre déclarations conjointes concernant la situation des droits de l’homme en Irak. Ces déclarations ont souligné les problèmes de disparition forcée, de corruption, de violence contre les femmes, du manque d’eau potable, du besoin de justice transitionnelle et a réitéré la nécessité de nommer un Rapporteur Spécial pour l’Irak. GICJ a également demandé la création d’un Tribunal international spécial pour poursuivre toutes les personnes impliquées dans l’invasion et l’occupation, et celles qui ont commis des atrocités au cours des 16 dernières années.

GICJ a également fait deux déclarations écrites concernant les disparitions forcées et la justice transitionnelle (vérité, justice, réparations et garanties de non-répétition) en Irak. GICJ a demandé une enquête sur les disparitions et les nombreux cas de détention arbitraire qui ont souvent conduit à des disparitions forcées. En raison d’une récente pression politique internationale pour réduire la présence et le rôle des milices en Irak, GICJ a souligné les tentatives des milices de détruire les preuves de leurs activités – leurs détenus – par des exécutions extrajudiciaires et des enterrements de masse clandestins et illégaux.

GICJ a organisé un évènement parallèle intitulé « Disparition forcée et assassinats extrajudiciaires en Irak » le 25 septembre 2019 avec deux organisations partenaires, International-Lawyers.org et EAFORD (International Organization for the Elimination of All Forms of Racial Discimination ; Organisation internationale pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale), avec Ali Arkady, un célèbre photojournaliste et reporter de guerre irakien. M. Arkady a présenté six crimes de guerre dont il a été témoin et qu'il a mis en évidence entre le 18 octobre et le 22 décembre 2016 alors qu’il était intégré à une unité des forces spéciales irakiennes qui se bat pour reprendre Mossoul. M. Arkady a été témoin de tortures et d’exécutions systématiques de civils, révélant les horribles atrocités commises par les forces irakiennes sous le couvert de la lutte contre le terrorisme.

La 43ème session du Conseil des droits de l’homme, du 24 février au 23 mars 2020

GICJ a réalisé trois déclarations orales sur l’Irak concernant les enlèvements et assassinats de défenseurs des droits de l’homme et de militants civils, et sur la brutalité contre des manifestants pacifiques en Irak. GICJ a en outre présenté trois déclarations écrites sur la persistance des disparitions forcées en Irak et sur la violente réponse aux manifestations en Irak depuis octobre 2019, notamment les disparitions forcées systématiques, les enlèvements et les assassinats de manifestants. GICJ a demandé à l’ONU de reconnaître le rôle du gouvernement dans l’incitation à assassiner délibérément les manifestants. À cet égard, GICJ a demandé à l’ONU de continuer de faire pression sur le gouvernement irakien pour qu’il respecte ses obligations internationales et qu’il reconnaisse la compétence du Comité des disparitions forcées de recevoir et d’examiner les communications émanant des victimes et de leur famille.

La 44ème session du Conseil des droits de l’homme, du 30 juin au 17 juillet 2020

Durant cette session, GICJ a présenté une déclaration écrite sur la situation actuelle des manifestants en Irak. GICJ s’est concentré sur les demandes des manifestants et a mis en évidence les violations continues commises à leur encontre. Il a mis en évidence l’incapacité du système judiciaire irakien à tenir les auteurs de crimes pour responsables. Il a également réaffirmé sa position selon laquelle les violations des droits de l’homme ne permettront pas d’instaurer la stabilité en Irak, à moins que toutes ces violations ne soient traitées de manière globale et qu’un tribunal international spécial ne soit créé pour traduire en justice tous les auteurs de crimes, en particulier ceux qui sont responsables du meurtre, de l’enlèvement et de la torture de manifestants pacifiques. 

La 45ème session du Conseil des droits de l’homme, du 14 septembre au 6 octobre 2020

GICJ a présenté plusieurs déclarations orales communes sur les violations systématiques et généralisées des droits de l’homme en Irak, plus particulièrement concernant les enlèvements et assassinats des défenseurs des droits de l’homme. GICJ a demandé au Conseil d’établir une commission d’enquête internationale indépendante pour mener des investigations sur toutes les violations des droits de l’homme en Irak depuis 2003 dans le but de tenir responsables les auteurs de ces crimes.

GICJ a soumis une déclaration écrite sur la situation des droits de l’homme en Irak abordant les violations qui sont perpétrées contre les manifestants en Irak, y compris la détention arbitraire, les disparitions forcées et les exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires.

En réponse aux déclarations conjointes de GICJ au Conseil des droits de l’homme sur les violations systématiques et généralisées des droits de l’homme en Irak, en particulier concernant les disparitions forcées et le ciblage des défenseurs des droits humains et militants, le 21 septembre 2020, le délégué irakien a accusé les ONG de déformer les informations et de défendre les terroristes liés à Al-Qaida et à l’Etat islamique. Le 24 septembre 2020, le délégué irakien a formulé des accusations similaires, prétendant que les ONG font des « déclarations à caractère politique », présentent des informations erronées et lancent des accusations contre le gouvernement irakien pour tenter d’instrumentaliser le Conseil et le HCDH au profit d’intérêts particuliers.

Le délégué irakien a affirmé que les prisons sont gérées par les autorités compétentes et qu’elles sont régulièrement visitées par les organismes internationaux alors que dans les faits, l’armée, la police, les unités de sécurité et les milices administrent chacune leurs propres prisons. Le Ministère de la défense a joué un rôle crucial dans les disparitions forcées en menant de vastes campagnes d’arrestation et de détention dans tout l’Irak. Le Ministère de l’intérieur est également impliqué dans les disparitions forcées par le biais des forces de sécurité intérieure, y compris les milices. Le délégué a également déclaré que tous les détenus étaient présentés à un juge dans les 48 heures. Cependant, GICJ a rapporté d’innombrables cas de manifestants qui ont été détenus arbitrairement pendant de longues périodes et dont le lieu de détention reste incertain.

Les réponses du délégué irakien sont cohérentes avec les tentatives constantes des autorités irakiennes de se soustraire aux appels à la responsabilité pour des milliers de personnes disparues en les qualifiant de terroristes au seul motif qu’elles proviennent de certaines régions ethniques d’Irak. Ces réponses sont également emblématiques du déni et du refus persistants du gouvernement irakien de reconnaître l’absence totale absolue de l’Etat de droit en Irak.

GICJ porte les disparitions des manifestations devant le Comité des disparitions forcées

Le 9 septembre 2020, GICJ a participé à la 19ème session du Comité des disparitions forcées en présentant un rapport actualisé à propos des violations contre les manifestants, militants et défenseurs des droits de l’homme en Irak. Lors de sa participation, Mme Hannah Bludau (GICJ Human Rights Officer), a confirmé au Comité le nombre de victimes résultant du ciblage systématique, des assassinats et enlèvements de militants depuis le début des manifestations. Mme Bludau a insisté sur la réponse violente et brutale des forces de sécurité aux manifestations et a détaillé la dissimulation du lieu où se trouvaient ces manifestants détenus arbitrairement, ce qui équivaut finalement à des disparitions forcées.

Mme Bludau a attiré l'attention du Comité sur l’absence complète et totale d’action de la part du gouvernement pour lutter contre ces violations et tenir les auteurs responsables. Au contraire, Mme Bludau a informé le Comité que les responsables gouvernementaux et un grand nombre de politiciens, dont des membres du Parlement, encouragent activement le ciblage systématique et l’augmentation des actes de violence contre les militants et défenseurs des droits de l’homme, en niant l’identité des victimes en tant qu’activistes et en les traitant plutôt d’agents étrangers américains et donc de menace pour l’Irak. Mme Bludau a affirmé que ces fausses affirmations sont une tentative pour discréditer les victimes et justifier les attaques et qu’elles sont dirigées contre toutes les personnes détenues arbitrairement et disparues de force, ce qui montre clairement qu’il s’agit d’une tactique constamment utilisée pour discréditer toutes les victimes de violations des droits de l’homme.

Concernant l’état d’avancement de l’adoption du projet de loi irakien, à cette date, Mme Bludau a informé le Comité que le gouvernement n’avait pas soumis le projet de loi au Parlement malgré le fait que le Ministère de la justice ait déclaré qu’il était en cours d’examen par le Conseil d’Etat. GICJ a obtenu l’information que les autorités irakiennes avaient indiqué au Conseil d’une certaine manière, ne pas donner suite au projet de loi. C’est une preuve supplémentaire que le gouvernement manque continuellement à ses obligations et à ses promesses et cela prouve encore une fois le manque total d’intérêt des gouvernements à fournir des solutions pour les cas des personnes disparues.

Remarques finales

Une année est passée depuis que les manifestations ont commencé et la violence continue de se produire quotidiennement. Aucun responsable des violations n’a été tenu pour responsable. Le peuple irakien continue de payer le prix fort simplement pour avoir exercé ses droits fondamentaux.

L’impunité systématique avec laquelle ces violations se produisent témoigne de l’incompétence du gouvernement irakien de faire face à la situation et reflète le fait que la communauté internationale ferme délibérément les yeux. Bien qu’il y ait beaucoup de solennité et de déclarations fleuries faites au Conseil des droits de l’homme par les Etats membres sur l’importance de la responsabilité en tant que nouvelle force motrice des droits de l’homme à l’ordre du jour international, elles restent des promesses vides de sens non tenues aux yeux et dans la vie du peuple irakien.

La question paradoxale est de savoir combien d’assassinats et de disparitions forcées supplémentaires le monde a besoin avant de décider d’agir, de répondre aux appels continus du peuple irakien en faveur de la justice et de la responsabilité et pour la dissolution du système de gouvernement sectaire et des milices qui se développent sur l’idée de division par la violence. Combien de jeunes militants doivent mourir pour que la communauté internationale s’en aperçoive ?

Pourquoi les défenseurs des droits de l’homme doivent-ils craindre pour leur vie alors qu’ils ne font qu’exercer leurs droits fondamentaux ? Le peuple irakien exige et a droit à ses droits humains et à une démocratie, une paix et une justice véritables. 

GICJ continuera à rechercher la justice pour le peuple irakien et à demander des comptes pour les violations commises à son encontre. Malgré nos demandes d'action répétées, la communauté internationale et les Nations Unies ont fait preuve de complaisance dans leur réponse. Elles n’ont pas pris au sérieux le sort et les souffrances du peuple irakien, et c’est ce laxisme qui a encouragé les auteurs de ces actes, non seulement à poursuivre les violations, mais aussi à les intensifier.

Nous réitérerons nos appels pour la création d’une commission d’enquête internationale indépendante chargée de mener des investigations sur toutes les violations des droits de l’homme en Irak depuis 2003 dans le but de tenir les auteurs de ces exactions pour responsables. Nous demandons également à tous les organes compétents des Nations Unies de prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre un terme à ces graves violations des droits de l’homme.

La communauté internationale devrait écouter les voix de la jeune génération irakienne et son appel au changement. Tout ce qu’ils demandent, c’est un avenir meilleur. Depuis 17 ans, ils vivent dans cette situation, sans éduction appropriée, sans possibilités d’emploi, sans besoins et services de base et maintenant, sans espoir. Nous demandons à la communauté d’aider cette génération de parvenir à un avenir meilleur.

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