Écrit par Alejandro Fernández/GICJ 

Traduit par Camille Miguet/GICJ

Le 24 février 2021, la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme a soumis à la 46ème session du Conseil des droits de l’homme son dernier rapport concernant les points 2 et 7 de l’ordre du jour du Conseil, intitulé « Garantir la responsabilité et la justice pour toutes les violations du droit international dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est ».  

Le rapport, qui couvre la période allant du 1er novembre 2019 au 31 octobre 2020, aborde la question de la responsabilité pour les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire par toutes les personnes titulaires d’obligations en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est et à Gaza. Le rapport fait également le point sur les enquêtes entreprises après l’escalade des hostilités à Gaza en 2008. L’État de Palestine a répondu à la demande d’information du Haut-Commissaire en date du 9 novembre 2020 alors qu’Israël n’y a pas répondu.

Le HCDH a recensé 67 Palestiniens tués par les forces de sécurité israéliennes au cours de la période couverte par le rapport, dont 47 civils et 16 enfants, et 3678 blessés. D’autre part, un soldat israélien a été tué et 90 ont été blessés. Le HCDH a constaté que de nombreux incidents se sont produits en dehors du contexte des hostilités et ont impliqué un usage excessif de la force par les forces de l’ordre. Dans le même temps, l’impunité est restée omniprésente.

Depuis l’escalade des hostilités à Gaza en 2014, des inquiétudes persistent concernant l’absence de responsabilité pour les violations graves du droit humanitaire, y compris les crimes de guerre, commises par toutes les parties. La Haut-Commissaire a fait état des progrès (ou l’absence de progrès) dans les enquêtes sur plusieurs violations dans le Territoire palestinien occupé (TPO), et a constaté que les améliorations étaient minimes, voire inexistantes.  

Les enquêtes menées par les instances judiciaires israéliennes sur le meurtre de nombreux civils palestiniens lors de l’escalade des hostilités en 2008, 2009 et 2014 ont été classées, tandis qu’aucune information n’a été communiquée sur les mesures prises pour que les responsables d’éventuelles violations du droit international humanitaire commises par les autorités et les groupes armés palestiniens soient poursuivis.

De plus, durant la période visée par le rapport, de nouvelles frappes militaires israéliennes ont tué des civils, ce qui soulève de sérieux doutes quant aux précautions prises par Israël pour éviter les pertes civiles au cours des hostilités. La Haut-Commissaire a également exprimé sa préoccupation face aux tirs aveugles de roquettes et d’obus de mortier en direction d’Israël par des groupes armés palestiniens à Gaza.

Le HCDH a également noté que l’impunité pour les meurtres et les blessures causés par un usage excessif de la force était généralisée. Elle a observé qu’entre le 1er janvier 2017 et le 31 octobre 2020, 354 palestiniens (dont 74 enfants) ont été tués par les forces de sécurité israéliennes dans le TPO lors d’opérations de maintien de l’ordre. La plupart des enquêtes ouvertes après ces incidents ont été classées ou ont abouti à des condamnations clémentes, voire à aucune condamnation.

Les agents de sécurité israéliens ont fait un usage intensif de la force létale et non létale pour faire respecter les restrictions d’accès aux zones de pêche autour de Gaza, souvent sans nécessité ni provocation. De même, de nombreux cas d’usage excessif et inutile de la force contre des civils, y compris des meurtres, ont été signalés en Cisjordanie. La mise en cause de la responsabilité des auteurs de ces actes ne va normalement pas au-delà de sanctions administratives ou pénales clémentes, qui sont toutes grossièrement disproportionnées par rapport à la gravité des crimes.

La Haut-Commissaire a également exprimé son inquiétude concernant la décision de la Haute Cour de justice israélienne qui a assimilé certaines opérations de maintien de l’ordre à une « situation de guerre », ce qui permet ainsi une latitude beaucoup plus grande dans l’utilisation de la force meurtrière que celle prévue par le cadre de maintien de l’ordre.

De même, aucun progrès n’a été signalé dans les enquêtes concernant les allégations de mauvais traitements infligés par des agents israéliens dans les centres de détention. 

Le HCDH a également commenté l’absence de progrès dans les enquêtes sur les allégations d’usage excessif de la force, de torture et de mauvais traitements par les agences de sécurité palestiniennes. Bien que la Palestine ait fait part de son intention d’adopter une législation en vue de la création d’un mécanisme national de prévention pour enquêter sur les cas de torture, comme le prévoit le Protocole facultatif à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la mise en œuvre de ce mécanisme reste en suspens.   

Malgré les mesures prises pour faire face aux incidents ayant fait des morts par les forces de sécurité palestiniennes, comme la création d’enquêtes ad hoc, les promesses d’indemnisation des familles des victimes, et les annonces concernant l’ouverture d’enquêtes criminelles et l’adoption de mesures disciplinaires, la Haut-Commissaire a noté avec inquiétude qu’aucune accusation criminelle n’avait été déposée jusqu’à présent.

En outre, la Haut-Commissaire a rappelé son rapport de 2017 (A/HRC/35/19) relatif à l’obligation de rendre des comptes pour les violations commises dans le TPO, et a regretté que la situation des droits de l’homme dans la région n’ait pas substantiellement changé, et donc que les recommandations formulées dans le rapport restent valables. Les recommandations abordent sept sujets différents : la responsabilité et l’accès à la justice ; l’engagement international ; l’arrestation et la détention ; les colonies de peuplement ; la liberté de mouvement ; les autres droits civils et politiques ; les droits économiques, sociaux et culturels. Elle a exhorté Israël et la Palestine à faire pleinement usage de l’assistance technique du HCDH pour mettre en œuvre ces mesures. Elle a fait référence à cet égard à Israël, qui a suspendu sa coopération avec le HCDH, y compris la délivrance de visas pour le personnel international. 

La Haut-Commissaire a également réitéré son appel au Conseil des droits de l’homme pour qu’il recommande à l’Assemblée générale de faire usage des pouvoirs qui lui sont conférés par l’article 96 (a) de la Charte des Nations Unies afin de préciser comment toutes les parties peuvent remplir leurs obligations en mettant en œuvre les recommandations examinées dans le rapport. De plus, elle a exhorté les États à prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer le respect des résolutions du Conseil des droits de l’homme, de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité, notamment la résolution 2334 (2016) du Conseil de sécurité réaffirmant que l’établissement par Israël de colonies en Cisjordanie n’a aucune validité juridique et constitue une violation flagrante au regard du droit international.

Elle a spécialement exhorté les États à prendre des mesures pour assurer le respect des dispositions des Conventions de Genève sur la protection des civils en temps de guerre, en soutenant les procédures juridiques internationales et en exerçant une compétence universelle par le biais de leurs tribunaux nationaux pour les crimes de guerre commis dans le TPO.

Elle a conclu son rapport avec les recommandations suivantes :

« (a) Demande à Israël de respecter pleinement les obligations qui lui incombent en vertu du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire dans le Territoire palestinien occupé ; l’exhorte à mener rapidement des enquêtes indépendantes, impartiales, approfondies, efficaces et transparentes sur toutes les allégations de violations et d’abus du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire, en particulier sur les allégations de crimes internationaux ; et demande également à Israël de veiller à ce que toutes les victimes et leurs familles aient accès à des recours effectifs, à des réparations et à la vérité ;

(b) Demande à Israël de reprendre sa coopération avec le HCDH et de faire pleinement usage de l’assistance technique du HCDH

(c) Exhorte l’État de Palestine à mener des enquêtes rapides, indépendantes, impartiales, approfondies, efficaces et transparentes sur toutes les violations et tous les abus présumés du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire, en particulier sur les allégations de crimes internationaux ; et demande à l’État de Palestine de veiller à ce que toutes les victimes et leurs familles aient accès à des recours effectifs, à des réparations et à la vérité ;

(d) Recommande à toutes les parties de garantir le plein respect du droit international, y compris du droit international humanitaire, en particulier des principes de distinction, de proportionnalité et de précaution, et de veiller à ce que les auteurs de violations graves soient tenus pour responsables ;

(e) Demande à tous les États de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer effectivement le respect des Conventions de Genève par toutes les parties au conflit, en tenant compte des moyens dont ils disposent raisonnablement et de leur niveau d’influence sur les parties ; et rappelle, en particulier aux États ayant des liens étroits avec les parties qu’ils doivent exercer leur influence pour assurer le respect du droit ;

(f) Réitère les appels lancés à tous les États et aux organes compétents des Nations Unies pour qu’ils prennent toutes les mesures nécessaires pour assurer le plein respect et la conformité aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, de l’Assemblée générale et du Conseil des droits de l’homme. »

Geneva International Centre for Justice (GICJ) n’a cessé de s’engager auprès des mécanismes des droits de l’homme des Nations Unies, notamment le Conseil des droits de l’homme, pour attirer l’attention sur les multiples violations des droits de l’homme qui ont lieu dans le TPO. Nous avons soumis au Conseil des déclarations écrites et orales sur les mauvais traitements, y compris les violences sexuelles, infligés aux femmes palestiniennes dans les lieux de détention ; les détentions arbitraires et les violations du droit à un procès équitable pour les palestiniens ; la hausse des discours de haine contre les Palestiniens parmi les représentants politiques israéliens au sein des réseaux sociaux ; la force excessive contre les manifestants ; la criminalisation et la diffamation des défenseurs des droits humains ; ainsi que le refus d’accès à la Cisjordanie.

Nous avons également rendu compte de l’Examen périodique universel d’Israël et l’examen d’Israël par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, au cours desquels des sujets comme l’exclusion des palestiniens de l’espace civique, les attaques contre les infrastructures civiles, le ciblage des organisations de défense des droits de l’homme et la discrimination raciale et religieuse à l’encontre des minorités arabes, ont été largement évoqués par les experts de l’ONU et ont fait l’objet de débats avec la participation des délégations des États et de la société civile. Nous continuons à surveiller la mise en œuvre des recommandations faites par ces organes.

GICJ approuve pleinement le rapport du Haut-Commissaire et souligne l’importance de l’obligation de rendre des comptes pour empêcher que des violations graves du droit international ne se reproduisent, et apporter satisfaction aux victimes et à leurs familles. Nous saluons en outre la décision de la Cour pénale internationale d’étendre sa compétence territoriale aux crimes internationaux commis dans le TPO et encourageons tous les États à exercer leur compétence universelle sur ces crimes par le biais de leurs tribunaux nationaux.

De même, nous demandons aux mécanismes de l’ONU de continuer à surveiller la situation des droits de l’homme dans le TPO et de maintenir la pression sur Israël pour qu’il respecte ses obligations internationales et reprenne sa coopération avec le HCDH.

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