48e session du conseil des droits de l’homme

13 septembre – 8 octobre

Objet 3 – Promotion et protection de tous les droits humains, civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, y compris le droit au développement

Dialogue interactif avec le rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, la justice, les réparations et les garanties de non-répétition des faits.

 

16 septembre 2021

 

Marc Gancedo / GICJ

Traduit par Louise Requin et Alexandra Guy

 

Résumé

La justice transitionnelle constitue le processus durant lequel des mesures judiciaires et non judiciaires sont prises pour garantir une transition politique conduisant à la paix et à la réconciliation après une période de conflit.

Le rapport du Rapporteur Spécial sur la promotion de la vérité, la justice, les réparations et les garanties de non-répétition s’axe principalement sur le problème de la responsabilité. Le rapport souligne la nécessité d’adopter une perspective globale et exhaustive qui ne se limite pas à la responsabilité pénale, mais qui comprend le contexte social et civil de la situation post-conflit. Les états ont le devoir d’engager les poursuites judiciaires pertinentes, et ne doivent jamais être exemptés de ces responsabilités. De plus, les victimes doivent être placées au centre de toutes les procédures, et leur bien-être doit être la priorité des mesures judiciaires. Le rapport met en lumière le besoin pressant d’améliorer la coopération entre les organes judiciaires nationaux et internationaux afin que les mécanismes judiciaires n’entrent pas en contradiction.

Le 16 septembre 2021, le Rapporteur Spécial Fabian Salvioli a présenté son report aux parties intéressés au Conseil des droits de l’Homme. Son discours a réitéré les points majeurs du rapport. Il a d’abord affirmé que la poursuite de la paix ne devrait pas empiéter sur la poursuite de la justice, et que les victimes ne doivent pas être forcées de choisir entre l’un et l’autre.  Par conséquent, des mesures non-judiciaires visant à créer un dialogue doivent s’associer à des poursuites criminelles. Les délégations présentes ont réitéré leur engagement auprès des mécanismes de justice transitionnelle, et ont exprimé un désir d’augmenter les capacités, forums et institutions dédiés à la justice post-conflit. L’importance de la voix des victimes fut un thème récurrent lors du dialogue.

GICJ apprécie l’insistance de Fabian Salvioli sur l’importance de la mémoire en tant que cinquième pilier de la justice transitionnelle, un élément historiquement ignoré dans les processus de paix dans le monde. L’inclusion des victimes et leur place au centre des processus de paix est d’une importance primordiale pour achever la réconciliation.

Contexte

La justice transitionnelle comprend des mécanismes judiciaires et extra-judiciaires, avec des poursuites pénales mais aussi les réparations, le rétablissement de la vérité, les réformes institutionnelles et d’autres mesures alternatives qui visent à achever une justice restauratrice et une paix durable après une période de conflit.

Le Haut-Commissariat est l’entité des Nations Unies qui mène les processus de justice transitionnelle. Elle soutient les Etats dans le développement d’un Etat de droit et de tribunaux stables et indépendants. En septembre 2011, le Conseil des Droits de l’Homme a adopté la résolution 18/7 (renouvelée en 202 par la résolution 45/10) pour nommer pour trois ans un Rapporteur Spécial sur la promotion de la vérité, la justice, les réparations et les garanties de non-répétition. Le Rapporteur Spécial travaille sur les situations de transition post-conflit ou post-dictature durant lesquelles de graves violations des droits humains et du droit international humanitaire ont été commises.

 

Rapport du Rapporteur Spécial

Le rapport de Fabian Salvioli porte le titre « Responsabilité : poursuivre et punir les graves violations des droits de l’Homme et du droit international humanitaire dans le contexte des processus de justice transitionnelle. » Dans ce rapport, Fabian Salvioli liste les activités entreprises dans le cadre de son mandat entre juillet 2020 et juin 2021, et examine les devoirs qu’ont les Etats d’entreprendre des poursuites et de punir les individus responsables pour les violations des droits humains dans leurs pays.

Le rapport prend note des difficultés liées au Covid-19 rencontrées par le Rapporteur Spécial dans l’achèvement de son mandat. La pandémie a contraint le Rapporteur à repousser ses visites en Bosnie Herzégovine, Croatie, Corée du Sud et en Serbie. Cependant, le Rapporteur Spécial a profité de ces restrictions pour entreprendre une analyse de l’implémentation de ses recommandations passées, notamment au Burundi, en Espagne, au Sri Lanka, en Tunisie, au Royaume Uni en Uruguay.

Le rapport souligne la pérennité de l’impunité, héritage des intérêts politiques et du conflit social qui poussent à des transitions démocratiques rapides sans garantir de poursuites pénales. De plus, la justice criminelle ne peut satisfaire à elle seule les besoins des victimes lors d’abus fréquents et systémiques des droits de l’homme. D’autres mesures complémentaires doivent alors être adoptées afin de garantir la paix, la vérité et la justice.

D’après le droit international, national, officiel et coutumier, les Etats sont souvent tenus de poursuivre et de punir les individus responsables pour les crimes et violations des droits humains commis pendant les conflits. Les peines imposées pour les crimes contre l’humanités doivent être proportionnelles avec la gravité des crimes commis. Ainsi, une peine trop légère pour la gravité du crime peut constituer une situation d’impunité.

Concernant les obstacles à l’établissement de la responsabilité criminelle, le rapport note qu’une trop petite partie des crimes internationaux sont sujet à des poursuites criminelles dû à des capacités judiciaires limitées et à des ressources humaines et financières limitées.

Ensuite, le Rapporteur Spécial a mis en lumière l’existence d’une l’impunité de jure créée par certaines mesures étatiques. Il a nommé les pays ayant promulgué des lois d’amnistie pour pouvoir rentrer dans un processus de justice transitionnelle et faciliter la transition politique, rendant tout enquête criminelle impossible. Dans certains cas, comme en Afrique du Sud, la justice a été remplacée par la vérité. D’autres pays ont été moins chanceux, et ni justice ni vérité n’ont été rendues. En outre, certains Etats ont eu recours à des dispositions de prescription ou de non-rétroactivité pour empêcher les crimes d’être jugés ou sanctionnés, bien qu’ils ne soient initialement pas soumis à une prescription. Dans d’autres pays, l’absence de définition légale de certains délits dans le code pénal a été à l’origine de problèmes juridiques. De plus, le Rapporteur Spécial a souligné que si des maladies en phase terminale pouvaient expliquer une remise de peine, la détérioration physique et mentale résultant exclusivement de l’âge du coupable ne peut accorder de tels avantages.

Même quand les mécanismes de justice transitionnelle appliquent le principe de responsabilité, la pression et l’intimidation que peuvent subir les juges ou les préjugés structurels et les inégalités dont sont victimes les minorités peuvent favoriser l’impunité. Dans d'autres cas, comme en Ouganda, en Gambie et en Colombie, le nombre d'affaires faisant l'objet d'une enquête dépasse la capacité des organes judiciaires, qui sont confrontés à des défis opérationnels constants.

Le Rapporteur Spécial a noté que même quand la législation internationale ne définit pas certains crimes, ceux-ci sont décrits dans le code pénal ou une autre législation spéciale dans la majorité des Etats.

De plus en plus d’Etats ont pris des mesures pour révoquer les amnisties ou les rendre inconstitutionnelles, limitant l’impunité. De plus, le rapport note que les Etats laissent de plus en plus participer la société civile dans la résolution des conflits et le maintien de la paix, et que les victimes sont progressivement mises au centre du processus de justice transitionnelle.

En outre, les systèmes nationaux judiciaires coopèrent de plus en plus avec le système international, notamment grâce à des investissements gouvernementaux plus importants dans ce système. Une bonne relation entre les juridictions nationales et internationales aide à combattre l’impunité. L’incorporation du principe de juridiction universelle dans beaucoup de cadres normatifs nationaux constitue donc une nouvelle encourageante. Cependant, certains Etats refusent toujours d’appliquer les standards internationaux et utilisent le cadre juridique national pour contourner leurs responsabilités, en dépit du droit international en vigueur.

Le Rapporteur Spécial a terminé son rapport en délivrant 12 conclusions et plusieurs autres recommandations. Il a notamment évoqué « la nécessité d’adopter une approche holistique pour veiller au respect des cinq piliers de la justice transitionnelle – vérité, justice, réparations, garantie de non-répétition et mémorisation ».

Lors du Dialogue Interactif, le Rapporteur Spécial a également souhaité discuter du suivi de l’implémentation de ses recommandations par pays, que nous résumons ci-dessous.

Suivi des visites en Tunisie, Uruguay et Espagne

Tunisie : l’Instance Vérité Dignité établie en 2014 a reçu 62 720 plaintes pour violations des droits de l’Homme ; cependant, par manque de temps et de ressources, seules 205 plaintes ont été traitées et transférées aux 13 chambres pénales spécialisées. Au cours de son mandat, la Commission a dû faire face à de continuels obstacles procéduriers et politiques, ce qui laisse à penser que l’engagement du gouvernement tunisien manque à la poursuite du processus de justice transitionnel est faible. De plus, le Rapporteur Spécial note que les lois applicables à certains délits manquent de clarté, notamment celle relevant de la compétence des chambres pénales spécifiques. Il a cité l’exemple de la loi Organique n°53, qui n’a pas été intégrée correctement dans le cadre juridique pénal. En outre, le droit tunisien ne reconnaît par la gravité des crimes contre l’humanité tels que définis par le droit pénal international. Si Fabián Salvioli note les progrès faits par le pays ces dernières années, il regrette que les processus de responsabilisation, de réparations et de garanties de non-répétition continuent d’être ralenties par de nombreux obstacles.

Uruguay : Le rapport met en avant les réformes prometteuses mis en place dans le système de justice transitionnel. En revanche, il déplore le manque d’implémentation des recommandations de l’ONU. L’Uruguay a décidé de combattre l’impunité en créant un Bureau du procureur général en tant qu’institution indépendante, ayant lui-même mis en place un bureau spécifique réservé à la poursuite des crimes contre l’humanité. Le Rapporteur Spécial note cette avancée, mais continue de s’inquiéter quant à l’héritage de la loi de 1986 sur l’Extinction des créances punitives de l’Etat (loi d’extinction), puisqu’elle continue d’être à la source d’une impunité de fait. Il a également souligné la nécessité d’adopter un programme de réparation complet. Enfin, il a félicité l’Uruguay pour ses mesures significatives pour renforcer l’indépendance et l’intégrité du pouvoir judiciaire, et pour commémorer les victimes.

Espagne : Le rapport démontre que les mêmes problématiques persistent depuis 2014. Les victimes de la guerre civile de la dictature continuent d’être privées de leur droit à la vérité, la justice, la réparation, la mémoire et aux garanties de non-répétition. L’application encore actuelle de la loi d’amnistie de 1977 et les délais de prescriptions dans les juridictions nationales expliquent cette situation. Les allégations sont toujours rejetées, contrairement aux obligations et normes internationales. Le Rapporteur Spécial recommande donc l’abrogation de la loi de 1977. Il demande aussi à l’Espagne de modifier ses lois afin qu’elles soient en conformité avec le droit international. Le Rapporteur Spécial s’est réjoui de la création d’un Secrétariat d’Etat à la mémoire démocratique, qui serait chargé des politiques publiques sur la préservation et la promotion de la mémoire démocratique. Cela pourrait répondre à bon nombre de préoccupations soulevées dans le rapport. Le rapporteur Spécial salue également l’augmentation du budget alloué aux municipalités et communautés pour l’exhumation et la redésignation du « Valle de los Caídos », à la suite de l’exhumation de Franco. Enfin, les efforts faits par le gouvernement actuel sur ces problématiques ont été remarqués mais le Rapporteur Spécial s’inquiète des effets que pourraient avoir les intérêts partisans et la politique du parti sur l’union sociale, ce qui pourrait compromettre l’adoption d’une stratégie de justice transitionnelle efficace et conforme aux normes en matière de droits humains.

Suivi des visites au Burundi, au Royaume Uni et au Sri Lanka

Burundi : La pérennité de l’impunité au Burundi s’explique par un manque d’enquêtes indépendantes. La Commission d’enquête a rapporté de nombreuses violations des droits humains de la part de membres du gouvernement depuis avril 2015. En 2018, le gouvernement a révisé le mandat de la Commission de Vérité et de Réconciliation pour inclure la période coloniale. En 2019, la Commission a rapporté que 142 505 Burundais avaient été tués ou portés disparus de la proclamation de l’indépendance en 1962 à la fin de la guerre civile en décembre 2008. Cependant, la Commission a été critiqué pour son manque d’objectivité, s’étant principalement concentrée sur l’exhumation des sites connus pour avoir appartenu au groupe ethnique Hutu. Le Rapporteur Spécial a salué les progrès faits dans le processus d’exhumation, mais déplore l’incapacité du Burundi à progresser sur d’autres aspects du programme de justice transitionnelle.

Royaume Uni : le rapport présente les quatre institutions créées par l’accord de 2014 pour répondre aux conséquences de la période des « Troubles ». Depuis le changement de gouvernement en 2020, une nouvelle approche a été adoptée, notamment en ce qui concerne l’accès à la justice pour les familles des personnes tuées dans le cadre des Troubles. Le partage des informations est dorénavant privilégié, en dépit de la responsabilisation des coupables. Le Rapporteur Spécial affirme que les poursuites sont interdites en vertu d’un délai de prescription, les enquêtes et affaires sont abandonnées et les réclamations devant les tribunaux civils sont empêchées. Fabián Salvioli remarque que les recommandations de son mandat ne sont pas suffisamment implémentées et reste sceptique par rapport à la nouvelle stratégie gouvernementale qui constituerait une violation des obligations du Royaume Uni en matière de droits humains.

Sri Lanka : Selon le rapport, la situation actuelle au Sri Lanka est préoccupante. Le processus de justice transitionnelle a été interrompu depuis que le nouveau gouvernement est arrivé au pouvoir, et de nouvelles violations des droits humains ont été rapportées. Des enquêtes portant sur des violations des droits de l’Homme de la part de militaires et autres membres des forces de l’ordre ont été suspendues. Plusieurs membres du Département d’enquête criminelle ont subi des représailles, ce qui a altéré le processus de responsabilisation des coupables. De plus, le gouvernement a cessé d’apporter son soutien au Bureau des personnes disparus, a tenté de réduire au silence les familles souhaitant commémorer leurs proches, et a justifié les menaces, la surveillance et l’interdiction des activités des défenseurs des droits humains par la sécurité publique. Non seulement le pays n’a pas implémenté les recommandations de la communauté internationale, mais il a pris des mesures mettant directement en danger le respect des droits humains au Sri Lanka.

Dialogue Interactif avec le Rapporteur Spécial

Le 16 septembre 2021, lors de la 7ème réunion de la 48ème Session du Conseil des droits de l’Homme, le Rapporteur Spécial sur la promotion de la vérité, la justice, les réparations et les garanties de non-répétition a présenté son rapport lors d’un dialogue interactif de l’ordre du jour n°3 de l’agenda.

Son rapport « Responsabilité : Poursuivre et punir les violations flagrantes des droits humains et les violations graves du droit international humanitaire dans le cadre des processus de justice transitionnelle » était accompagné de suivis de ses précédents rapports sur la Tunisie, l’Espagne, l’Uruguay, le Rwanda, le Burundi, le Royaume Uni et le Sri Lanka.

A la suite de cette présentation, il a évoqué les difficultés posées par la pandémie. Dans l’impossibilité de participer aux visites officielles, Le Rapporteur Spécial a participé à de nombreuses activités en ligne. Le Rapporteur Spécial a réalisé six visites et deux rapports sur ses recommandations.  Il a également déclaré avoir conduit un rapport thématique qui sera présenté lors de la prochaine session d’Assemblée Générale. Ce rapport traite des violations graves des droits humains commises en contexte colonial.

Fabián Salvioli a affirmé que les Etats étaient tenus de respecter le principe de responsabilité selon la loi internationale, ce qui les oblige à enquêter sur de tels crimes et punir les individus en conséquence. Il a souligné que les mesures prises par les Etats manquaient d’uniformité : certains accordent des grâces, d’autres des amnisties, des limitations légales, des réductions de peine, et des méthodes globalement inadéquates qui conduisent à une impunité globale et ne respectent pas les normes internationales. A ce sujet, il a réaffirmé que la poursuite de la paix ne justifiait pas l’absence de justice et a souligné que les victimes étaient souvent confrontées au dilemme de la paix ou de la justice, mais ne pouvaient pas assez souvent avoir les deux.

Pour éviter une telle situation, Fabián Salvioli a déclaré que toute approche de la justice internationale devait reposer sur les cinq piliers de la justice transitionnelle : la vérité, la justice, les réparations, la garantie de non-répétition et la mémoire. De plus, le Rapporteur Spécial a donné un aperçu du suivi des cas signalés et a mis l’accent sur le retour en arrière du Sri Lanka dans son processus de justice transitionnelle.

Dans la discussion qui a suivi, les délégations européennes intervenantes ont salué le travail du Rapporteur Spécial, ont souligné leur engagement dans la lutte contre l’impunité, et ont réaffirmé l’importance d’une approche centrée sur les victimes. Elles ont ensuite posé plusieurs questions. Le représentant de l’Union Européenne a demandé au RS d’élaborer son propos sur les principes de responsabilité et de respect de l’Etat de droit dans la construction des pratiques démocratiques justes et de paix durable.

Le représentant du Luxembourg a demandé le rôle que pouvait avoir le système des Nations Unies de Genève dans l’assistance aux pays dans le processus de justice transitionnelle. La Suisse a demandé comment la communauté internationale pouvait renforcer l’utilisation de la technologie dans ce processus d’assistance. Elle a également exprimé son inquiétude quant à l’Etat des droits humains au Sri Lanka et a invité le RS à continuer de surveiller la situation. Le représentant français a souligné le rôle de la Cour Pénale internationale dans la lutte contre l’impunité et a demandé aux pays de signer le traité de Rome.

Les délégations égyptienne et cubaine se sont distinguées lors de la discussion. Elles ont défendu le respect de la souveraineté nationale, impliquant que les mécanismes et les normes juridiques internationaux ne remplacent pas le cadre juridique national existant. Quelques délégations ont également formulé des critiques directes à l'encontre du travail du Rapporteur Spécial et de son rapport.

La Russie a critiqué le RS pour sa prétendue ignorance du Tribunal de Nuremberg, qui aurait bien montré qu’il n’était pas judicieux de surestimer la valeur des mécanismes de justice transitionnelle, ceux-ci ayant souvent échoué. Le dialogue est devenu plus véhément quand la délégation de l’Inde a mis en doute les connaissances du Rapporteur Spécial sur le fonctionnement du système judiciaire en Inde et a critiqué certaines des observations faites sur le pays, les qualifiant d'infondées. La Chine et l’Iran ont également adopté une approche hostile en accusant les Etats Unies et ses alliés de violations des droits humains, sans évoquer la situation de leurs pays dans le processus de justice transitionnelle.

La délégation de Colombie s’est montrée plus positive, et s’est exprimé sur l’avancée continue du processus de justice transitionnelle dans le pays. D’autres pays d’Amérique Latine, tel que l’Equateur, l’Uruguay, Le Chili et l’Argentine ont mis en avant leur engagement pour la cause, en affirmant que les Etats avaient pour obligation de poursuivre des enquêtes pour la vérité et la justice et qu’ils ne devaient en aucun cas adopter des dispositions judiciaires propices à l’avènement de l’impunité. En réponse directe aux commentaires du Rapporteur Spécial sur l'impunité qui a suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale, le délégué de la Corée du Sud a évoqué le cas des "femmes de réconfort de la Seconde Guerre mondiale".

Lors de son intervention de mi-débat, Fabián Salvioli a souhaité répondre à plusieurs points intéressants soulevés lors de la discussion. Il a d’abord répondu à la question de la contribution de la communauté internationale à la lutte contre l’impunité. Il a déclaré qu’il fallait harmoniser les politiques pour avoir un accès plus complet et facile aux archives internationales, qui étaient un outil majeur de la lutte pour la vérité et la justice. Il a ensuite répondu à la question du Togo (est-il possible d’accorder des grâces pour des raisons humanitaires ?), en affirmant que son rapport indiquait les critères pour gracier un individu, et qu’en l’occurrence les grâces pouvaient être accordées uniquement en cas de maladies en phase terminale.

Les différentes délégations africaines ont ensuite pris la parole. De manière générale, elles ont toutes réitéré leur engagement pour la justice transitionnelle, et ont adhéré à plusieurs éléments mis en avant par le Rapporteur Spécial. Elles ont ensuite montré leurs progrès dans leur processus de justice transitionnelle respectifs.

Le Soudan a présenté la situation dans son pays : accord de paix obtenu en 2020, adoption de la loi de transition, coopération du gouvernement avec la cour Pénale Internationale, et mémorandum d’entente. Le Soudan du Sud a également exprimé son engagement dans la paix et le processus de réconciliation, en notant le soutien du ministère de la justice dans l’implémentation d’une Commission pour la Vérité. La Gambie a mis en avant la mise en place d’une Commission pour la vérité et la réconciliation en 2018 et a étendu son mandat en 2021 pour assurer la réalisation de ses objectifs. L’Ouganda a pris l’exemple de son propre pays pour montrer que les garanties de non-répétition étaient vitales dans le processus de justice transitionnelle et a appelé à mettre fin au recours abusif aux lois nationales pour se soustraire aux obligations internationales.

A la suite des interventions des pays, les organisations de la société civile ont pris la parole. Une attention particulière a été donné aux récentes mesures prises par le gouvernement britannique. Des ONG ont critiqué le plan d’amnistie et ont rappelé au gouvernement ses obligations en matière de droits humains. Des ONG ont demandé au Conseil des Droits de l’Homme de prendre en considération cette situation. La situation au Libéria a également été pointée du doigt : dû à un manque de volonté politique, le processus de mise en place d’un tribunal des crimes de guerres stagne. Aux Philippines, les sérieuses modifications de l’Histoire faites par le gouvernement ont inquiété des membres de la société civile.

Au total, 50 délégués et 15 ONG sont intervenus. Le Rapporteur Spécial a ensuite fait ses remarques finales. Il a mis en avant le rôle majeur des ONG dans la réalisation de son mandat et a pris note des suggestions de prendre en considération les violations des droits humains par des acteurs non étatiques. Il a annoncé que cela serait un des thèmes sous-jacents de son prochain rapport. Afin d’assurer les capacités techniques de la Commission pour la vérité et l’indépendance de son travail, il a demandé de donner du temps et des ressources aux Commissions de Vérité. Il a mis en avant la nécessité d’un personnel qualifié dans les droits humains et le traitement des victimes avec une perspective de genre. Il a enfin insisté sur l’importance de la réconciliation pour restaurer la vérité dans un Etat et assurer une paix de long-terme, qui ne peut pas être assurée par des seuls moyens juridiques.

 

 Position de Geneva International Center for Justice 

GICJ apprécie la qualité du rapport et félicite le Rapporteur spécial pour son travail malgré les obstacles causés par la pandémie. Les activités organisées en remplacement de celles initialement prévues font preuve d’un engagement réel de la part du Rapporteur Spécial. Nous apprécions la participation des membres du Conseil des Droits de l’Homme. Cependant, un certain nombre de pays ont échoué à s’engager de façon concrète dans la justice transitionnelle, un échec trop souvent justifié par des revendications de souveraineté nationale. Ces échecs ont mené à une impunité de facto trop importante. 

Nous appelons les Etats actuellement engagés dans des processus de transition politique à apprendre des expériences passées des autres pays. Lors de la création de mécanismes de justice transitionnelle, les Etats devraient porter une attention particulière au rétablissement de la vérité et de la justice, au moyen de commissions de dialogue indépendantes qui travaillent en dehors du système judiciaire, loin des pressions politiques. Sur ce point, nous souhaitons insister sur le besoin de renforcement des capacités. Les organes judiciaires et extra-judiciaires doivent s’équiper des ressources humaines, matérielles et financières adéquates afin d’assurer la réalisation du mandat en temps voulu. Bien trop souvent, les commissions de vérité ne bénéficient pas des ressources adéquates pour terminer leur mandat, ce qui affecte inévitablement leur succès de manière négative. Nous encourageons les Etats membres à étendre les mandats de leurs commissions quand cela est nécessaire, et à leur accorder les ressources humaines et financières adéquates. 

GICJ adhère à plusieurs remarques soulevées lors du dialogue qui soulignent le besoin de justice restaurative comme procédure légale complémentaire. Nous apprécions l’insistance de Salvioli sur l’inclusion de la mémoire comme cinquième pilier de la justice transitionnelle, la mémoire étant un élément régulièrement ignoré dans les processus de paix. Nous insistons sur le besoin d’adopter une perspective complète et multifactorielle à tout effort de paix durable. Le seul moyen d’achever une telle perspective est d’inclure les victimes et de les placer au centre des processus judiciaires. La réconciliation nationale doit être l’objectif final de tout processus de justice transitionnelle, mais il ne peut être atteint par l’emploi exclusif de moyen judiciaires. De même, les amnisties et autres mesures conduisant à l’impunité ne doivent être adoptées sous aucun prétexte dans le contexte de la justice transitionnelle. Les Etats doivent confronter leur passé afin d’aborder leur futur. Autrement, un retour à la violence et au conflit social est quasiment assuré. 

 

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