Dialogue Interactif avec la Rapporteuse Spéciale sur le trafic d’êtres humains

29 juin 2021

Genève, Suisse

47ème Session régulière du Conseil des droits de l’homme

Ecrit par : Meike Lenzner, Basel Al-Kababji, Clélia Jeandin

 

Résumé Analytique

Le 29 juin 2021, la Rapporteuse Spéciale sur le trafic d’êtres humains et particulièrement des femmes et des enfants, Mme Siobhán Mullally, a eu l’occasion de présenter son rapport lors de la 47ème session régulière du Conseil des droits de l’homme. Elle a basé son rapport sur le principe de non-sanction.

Le trafic d’êtres humains reste un grave fléau de nos sociétés, particulièrement pour les groupes d’individus les plus vulnérables comme les femmes et les enfants. Dans son rapport, la RS a mis l’accent sur les problèmes juridiques qui entourent la poursuite judiciaire des responsables. En effet, les victimes de trafic sont trop souvent punies pour des actes illégaux commis lors de la traite. De plus, le risque d’être puni pour ces actes renforce la peur des victimes et les empêche de demander une aide légale. Dans ce contexte, il est essentiel que les États implémentent le principe de non-sanction qui évite aux victimes d’être poursuivies à la place des responsables. Pourtant, selon Mme Mullally, l’implémentation de ce principe reste très limitée et, dans la plupart des pays, les victimes continuent d’encourir le risque d’être impliquées dans des procès inéquitables et possiblement condamnées. Les condamnations peuvent prendre diverses formes et peuvent avoir un impact de long-terme sur les victimes.

Les pays participants ont de manière générale démontrés leur profonde adhésion au principe de non-sanction. Certains États, tel que l’Egypte, le Liechtenstein et les États Arabes Unis ont notamment mentionné des conventions et des initiatives implémentées spécifiques au niveau national pour limiter le trafic d’êtres humains.

Dans son discours final, Mme Mullally a souligné que l’introduction d’une loi de non-sanction dans les politiques et lois nationales permettait de faciliter l’accès à des aides pour les victimes et d’assurer que les responsables soient sanctionnés. Elle a aussi noté l’impact de la pandémie de la COVID-19 sur le trafic d’êtres humains : dans un contexte de crise économique, les groupes les plus vulnérables, tel que les femmes et les enfants, sont plus enclins à être victimes de trafic. Étant donné la crise mondiale actuelle, il est vital que les États effectuent tous les efforts nécessaires afin de mettre un terme au trafic d’êtres humains, notamment en implémentant le principe de non-sanction pour les victimes.

 

Remarques d’ouverture de la Rapporteuse Spéciale

La Rapporteuse Spéciale sur le trafic d’êtres humains, particulièrement des femmes et des enfants, Mme Siobhán Mullally, a remercié le président et les délégués pour lui avoir donné l’opportunité de présenter son rapport sur l’implémentation du principe de non-sanction. Elle a souligné avoir tiré profit de soumissions venant d’États et d’acteurs non-étatiques de toutes les régions. Au début de sa déclaration, elle a réitéré que les droits à l’assistance et à un recours effectif des victimes doivent être reconnus. Selon elle, le principe de non-sanction se place au centre de ces droits, ce qui veut dire que les victimes de trafic d’êtres humains ne doivent pas être punies pour des actes illégaux commis lors de la traite. En effet, la perspective d’une potentielle sanction résulterait uniquement sur l’augmentation générale de la peur des victimes et les empêcherait de rechercher la protection. Cela nuit gravement à la lutte contre l’impunité, car la sanction vise plutôt la victime que le responsable. La RS a clairement indiqué que le non-respect du principe de non-sanction est lié à de sérieuses violations des droits de l’homme tels que les procès inéquitables.

Siobhán Mullally, La Rapporteuse Spéciale sur le trafic d’êtres humains, particulièrement des femmes et des enfants.

De manière générale, elle a insisté à plusieurs reprises sur le fait que les États doivent être conscients que les sanctions peuvent prendre diverses formes et peuvent avoir un impact de long terme.Malheureusement, l’implémentation de ce principe reste limitée. De plus, la condamnation des victimes entrave leur rétablissement. Les individus encourant un risque de sanctions encourent également un risque plus élevé de re-trafic. La RS a appelé les États à faciliter l’accès à la justice pour les victimes. En outre, elle a observé une discrimination raciste structurelle dans le système juridique. Elle a souligné que les principes de la loi internationale contre toutes formes de discriminations sont cruciaux dans l’implémentation du principe de non-sanction. Le fait que les ressortissants étrangers soient surreprésentés dans les systèmes nationaux de lutte contre la criminalité indique que les victimes de trafic d’être humains sont aussi victimes de sanctions. Les femmes sont particulièrement sujettes aux conséquences du trafic d’êtres humains. La RS est préoccupée par la découverte selon laquelle les handicaps des victimes sont souvent ignorés. Au contraire, les États doivent garantir l’égalité de protection et l’égalité devant la loi pour tous. Il en va de leur devoir de garantir le principe de non-discrimination, notamment en accordant des logements adéquats pour les victimes handicapées.

La sanction peut prendre la forme d’une annulation ou d’un refus du droit d’asile, qui est un droit humain en lui-même. Pour toutes ces raisons, les États doivent assurer la pleine implémentation du principe de non-sanction. Cela signifie l’allègement de toutes les sanctions imposées, et la fourniture d’une aide juridique afin de permettre le plein rétablissement des victimes. Une sanction sous la forme de déchéance de la nationalité mène à l’absence de nationalité, qui est directement liée à un risque accru de se retrouver victime de trafic.

La RS a notamment souligné que la communauté internationale devait veiller à ce que les enfants victimes de trafic d’êtres humains ne soient pas doublement victimisés, mais traités avant tout comme des victimes. Les États doivent prioritiser leur réintégration. En outre, les enfants victimes ne devraient pas être sanctionnés, afin de briser le cycle de trafic d’être humains et particulièrement de trafic d’enfants. Au contraire, la réunification des familles doit être aussi prioritisée. Elle a ensuite rappelé les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a déterminé que la poursuite judiciaire des victimes de trafic constituait un danger pour leur rétablissement social et psychologique. De plus, ils devraient avoir le droit à un procès équitable. Il est du devoir de l’État d’y veiller. Cette obligation est accrue quand la victime est un enfant. Enfin, la RS a conclu sa déclaration en remerciant tout le monde pour leur attention et en se réjouissant d’un futur dialogue fructueux.

 

Déclaration des pays participants

Australie (au nom d’un groupe de pays) : le/la représentant.e de l’Australie a souligné que l’utilisation accrue de la technologie favorise l’exploitation, étant donné que cela empêche les victimes de rechercher des services de soutien hors ligne. L’Australie a également demandé à la RS plus de renseignements sur la manière dont les États pourraient travailler avec la société civile et les commerces afin de prévenir le trafic d’êtres humains.

Union Européenne : Le représentant de l’Union Européenne a mentionné la stratégie de l’UE pour contrer le trafic d’êtres humains. Il a notamment expliqué que traduire les responsables en justice tout en protégeant les victimes représentait une partie intégrante de cette stratégie. Le représentant a aussi mentionné que l’inégalité de genre victimisait les femmes et les enfants, et a demandé à la RS comment le domaine du numérique pourrait promouvoir l’éducation et l’accès à l’information afin de prévenir le trafic des femmes et des enfants.

Rocco Polin, le représentant de l’UE

Egypte (au nom d’un groupe de pays arabes) : le représentant a exprimé son inquiétude quant au trafic d’êtres humains observé dans les pays arabes. Il a souligné que la pandémie de la COVID-19 avait exacerbé ces crimes, qui affectent particulièrement les femmes et les enfants. Enfin, il a mentionné les efforts démontrés par les pays arabes pour contrer le trafic d’êtres humains, notamment avec la convention arabe, établie dans le but de combattre ces crimes et traduire les responsables en justice.

Suède (au nom du groupe des pays baltiques et nordiques) : la représentante a souligné que les situations de conflits ou d’urgences humanitaires exacerbaient les risques de perpétuation de trafics d’êtres humains. Elle a aussi mentionné l’importance du principe de non-sanction dans le combat contre la traite : nous devons redoubler d’efforts pour protéger les droits des victimes et empêcher les criminels d’échapper à la responsabilité pénale. Enfin, la représentante a demandé à la RS ce qui devait être fait afin d’établir le principe de non-sanction tout en traduisant les responsables en justice.

Anna Jardfelt, la représentante de la Suède

Liechtenstein : le représentant a affirmé que les victimes et les survivants doivent être au cœur de la lutte contre le trafic d’êtres humains. Avec l’Australie, les Pays-Bas et d’autres pays, le Liechtenstein a lancé l’Initiative FAST, qui renforce la prévention du trafic d’êtres humains en équipant les secteurs financiers mondiaux avec des outils pour combattre l’esclavage moderne et le trafic d’êtres humains. Le représentant a réitéré son soutien au mandat de la RS.

Sierra Leone : le/la représentant.e a affirmé que le Sierra Léone s’alignait avec la déclaration du groupe africain, tout en soulignant l’importance critique du principe de non-sanction : les victimes ne doivent pas être stigmatisées ou punies, et les fonctionnaires corrompus qui facilitent le trafic d’êtres humains doivent être poursuivis.

États Arabes Unis : le représentant a réitéré les efforts des EAU pour empêcher le trafic d’êtres humains. Il a déclaré que la stratégie nationale visait à garantir la justice pour les victimes en implémentant le principe de non-sanction et en renforçant la coordination internationale à ce sujet. Il a également affirmé que des mesures telles que la construction de refuges avait été établies par les EAU afin de venir en aide aux victimes de trafic.

Mohammed Alshamsi, le représentant des EAU

 

Remarques finales

En conclusion, les personnes trafiquées sont des victimes, particulièrement les femmes et les enfants. Les États partis devraient prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la pleine application du principe de non-sanction ainsi que l’identification précoce et de la protection des victimes et la mise en place d’un plan de rétablissement pour les victimes sans discrimination (religion, ethnie, genre, handicaps). Les sanctions peuvent prendre diverses formes, y compris la détention, l’arrestation arbitraire, la déchéance ou annulation de la nationalité ou l’exclusion des refuges.

Étant donné que les victimes de trafic ne devraient pas être punies pour leur entrée illégale dans un État, il est essentiel, en premier lieu, d’aider ces victimes. Pour cela, les États doivent adopter une loi nationale de non-sanction dans leurs politiques, et faciliter le processus général d’assistance. Les travailleurs de première ligne représentent un élément clef de ce processus. Il est donc essentiel de former les personnes étant en contact direct avec les victimes de trafic d’êtres humains, comme les agents de police.

L’impact de la pandémie de la COVID-19 s’est modélisé par une importante augmentation du trafic d’êtres humains. Les groupes les plus vulnérables, tel que les femmes et les enfants, encourent un plus grand risque de trafic ou de re trafic, et ce particulièrement en temps de crise économique où peu d’offres de travail sont disponibles. L’impact de la pandémie de la COVID-19 pour les victimes de trafic d’êtres humains est sévère et a des effets de long-terme, particulièrement pour ceux qui pourraient être re trafiqués. En ce qui concerne le trafic d’êtres humains en ligne, les États devraient prendre des mesures préventives à ce sujet, et utiliser les plateformes numériques pour sensibiliser le grand public sur le trafic d’êtres humains et pour aider les victimes. Une coopération entre les États, les institutions et les commerces en ligne diminuerait le risque de trafic d’êtres humains en ligne durant la pandémie de la COVID-19.

Les États Membres ont déjà pris des mesures pour rendre justice et poursuivre les responsables afin de lutter contre le crime de trafic d’êtres humains. Cependant, la dérogation ou la partielle application du principe de non-sanction devrait toujours être évitée par les États, étant donné que le principe de non-sanction est un pilier essentiel du combat contre le trafic d’êtres humains.

 

Position de GICJ

GICJ est extrêmement préoccupé par les observations mises en avant par la RS : il est particulièrement alarmant d’entendre que l’usage croissant des technologies encourage plus les criminels qu’il n’aide les victimes de trafic d’êtres humains.

En premier lieu, nous demandons instamment à tous les États Membres d’assurer que le principe de non-sanction soit implémenté sans conditions pour les victimes de trafic d’êtres humains. Ensuite, nous appelons les États à renforcer les mécanismes visant à identifier les victimes et à leur apporter un soutien immédiat. Enfin, nous appelons les États à établir des mesures concrètes afin d’aider les victimes à se réintégrer dans la société et de leur apporter un soutien de long terme, particulièrement sur les plans économiques et social.

 

Read in English: https://www.gicj.org/conferences-meetings/human-rights-council-sessions/discussion-reports/2127-hrc47-id-sr-trafficking

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