Par Patricia Jjuuko/GICJ
Traduit par Hind Raad Gathwan/GICJ
La Journée Internationale pour l’Abolition de l’Esclavage, célébrée le 2 Décembre, a été instaurée par l’Assemblée Générale des Nations Unies en 1986 pour coïncider avec l’anniversaire de l’adoption de la Convention des Nations Unies pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui (résolution 317 (V) du 2 Décembre 1949). L’objectif principal de cette journée est de sensibiliser et d’attirer l’attention sur l’éradication des formes contemporaines d’esclavage et d’exploitation, conformément aux Objectifs de Développement Durable des Nations Unies.
Bien que non défini par la loi, le terme “esclavage moderne” est utilisé comme une expression générique pour englober des pratiques telles que la traite des personnes, l’exploitation sexuelle, le travail des enfants, les mariages forcés et le recrutement forcé d’enfants dans des conflits armés. Il fait principalement référence à des situations d’exploitation qu’une personne ne peut refuser ou quitter en raison de menaces, de violences, de coercition, de tromperie ou d’abus de pouvoir. L’Organisation Internationale du Travail (OIT) a adopté un protocole juridiquement contraignant pour renforcer les efforts mondiaux visant à éliminer le travail forcé, qui est entré en vigueur en Novembre 2016.
Statistiques sur l’Esclavage Moderne
1.On estime que 50 millions de personnes vivent dans des conditions d’esclavage moderne, dont 28 millions en travail forcé et 22 millions en mariage forcé.
2.Près d’un enfant sur huit parmi les personnes en travail forcé est concerné. Plus de la moitié de ces enfants sont exploités sexuellement à des fins commerciales.
3.Environ 86 % des cas de travail forcé se trouvent dans le secteur privé.
4.Près de quatre personnes sur cinq dans l’exploitation sexuelle commerciale forcée sont des femmes ou des filles.
Source : Organisation Internationale du Travail, 2022.
Formes d’Esclavage Moderne
La Traite des Etres Humains
Il s’agit du recrutement, du transport, du transfert ou de l’hébergement de personnes par la force, la fraude ou la tromperie, dans le but de les exploiter à des fins lucratives. Ce crime est présent dans toutes les régions du monde. Les trafiquants utilisent souvent la violence, des agences de recrutement frauduleuses ou de fausses promesses d’éducation ou d’opportunités d’emploi pour contraindre leurs victimes. Ils ciblent principalement les personnes vulnérables en raison de la pauvreté, de l’absence de statut d’immigration légal, du manque de logement sûr et des opportunités économiques et éducatives limitées.Les victimes se trouvent dans des secteurs d’activité légaux et illégaux, notamment dans les fermes, les usines, les restaurants, les salons de manucure et de coiffure, les salons de massage, ainsi que dans les services de soins aux personnes âgées et aux enfants.
En 2024, l’opération la plus vaste jamais menée par INTERPOL contre la traite des êtres humains a permis de secourir 3,200 victimes potentielles et d’identifier plus de 17,800 migrants en situation irrégulière. Les victimes étaient souvent exploitées pour le travail, l’exploitation sexuelle ou la participation forcée à des escroqueries.Par exemple, aux Philippines, 250 personnes, principalement des ressortissants chinois, ont été contraintes de participer à des escroqueries sentimentales à grande échelle. Des schémas similaires, mêlant travail forcé et fraude, ont également été découverts en Afrique de l’Ouest et en Amérique centrale.Une tendance significative en Asie du Sud-Est concerne la traite de personnes vers des complexes où elles sont exploitées pour travailler dans des escroqueries sophistiquées en ligne. Les victimes sont attirées par de fausses offres d’emploi, puis soumises à des abus physiques et à des menaces.
Au Cambodge, au Laos et au Myanmar, ces escroqueries sont souvent protégées par des agents de sécurité privés, et parfois même par des groupes armés locaux, ce qui complique l’intervention des forces de l’ordre. Les rapports estiment qu’environ 220,000 personnes originaires de 66 pays ont été forcées à participer à ces escroqueries.
En Amérique Centrale et du Sud, les autorités ont mis au jour des cas d’exploitation sexuelle et de travail forcé. Début 2024, les autorités argentines ont secouru 59 victimes, dont des mineurs, qui étaient contraintes au travail forcé dans une ferme de la province de Buenos Aires. Cette opération s’inscrit dans les efforts continus pour lutter contre la traite des êtres humains et le travail exploitatif dans la région.Ces victimes, souvent recrutées sous de faux prétextes, étaient soumises à des conditions difficiles, travaillant de longues heures sans rémunération adéquate ni garanties de sécurité. Cette intervention met en lumière le problème plus large du travail forcé en Argentine, en particulier dans les secteurs ruraux et agricoles, où les populations vulnérables, notamment les enfants et les migrants, sont souvent ciblées.Le gouvernement Argentin s’efforce de renforcer ses mécanismes de lutte contre la traite et d’améliorer les protections pour les travailleurs.
En Irak et en Éthiopie, des réseaux de traite ont exploité des individus à des fins de mendicité forcée et de servitude domestique, respectivement.
Ces incidents mettent en évidence non seulement le coût humain de la traite des êtres humains, mais aussi la nature évolutive des réseaux criminels, qui mêlent souvent la traite à d’autres formes de criminalité organisée, comme le trafic de drogue et la fraude.Lutter contre la traite nécessite une coordination internationale et des stratégies multiples.
Travail Forcé
La Convention sur le Travail Forcé de 1930 (n° 29) de l’OIT définit le travail forcé comme « tout travail ou service exigé d’une personne sous la menace d’une quelconque peine et pour lequel cette personne ne s’est pas offerte de plein gré ». Les travailleurs migrants courent un risque beaucoup plus élevé de subir un travail forcé que les autres travailleurs. La prévalence du travail forcé chez les travailleurs migrants adultes est plus de trois fois supérieure à celle des travailleurs adultes non migrants.
Cette année, lors de sa visite en Australie en Novembre 2024, le Rapporteur Spécial des Nations Unies sur les Formes Contemporaines d’Esclavage, Tomoya Obokata, a examiné les risques de pratiques analogues à l’esclavage parmi les groupes vulnérables tels que les migrants, les peuples autochtones et les femmes. Il a dénoncé l’exploitation systémique des travailleurs migrants temporaires, mettant en lumière leurs mauvaises conditions de travail et l’urgence de renforcer les protections.
M. Obokata a également exprimé des préoccupations majeures concernant le travail forcé dans le cadre du programme de travailleurs saisonniers au Royaume-Uni. Il a souligné que le manque de supervision gouvernementale suffisante permettait à des formes d’exploitation de persister, notamment le vol de salaires, le racisme, les menaces de déportation et le refus des protections fondamentales sur le lieu de travail. Il a qualifié ces pratiques de violation des obligations internationales en matière de droits humains, appelant à des inspections du travail plus rigoureuses et à des mesures de responsabilisation renforcées.
Travail des Enfants et Mariages Forcés
Plus de 3 millions d’enfants sont exploités dans le cadre de travaux forcés. Les enfants issus de milieux particulièrement défavorisés sont particulièrement vulnérables à l’esclavage. En plus des causes habituelles de l’esclavage, telles que la pauvreté, le statut social et la discrimination, les enfants manquent souvent de moyens pour se défendre et faire entendre leur voix.Le changement climatique aggrave l’exploitation des enfants dans l’agriculture, les familles appauvries ayant de plus en plus recours au travail des enfants pour compenser la baisse de leurs revenus et les perturbations climatiques.
Le mariage des enfants reste une pratique courante dans le monde, avec environ une fille sur cinq mariée avant l’âge de 18 ans. Bien que certaines régions, comme l’Asie du Sud et l’Afrique subsaharienne, aient enregistré une diminution de la prévalence, des crises telles que les conflits armés, le changement climatique et la pandémie ont inversé ces progrès dans de nombreuses zones.En Afrique de l’Ouest et centrale, les taux élevés de mariages d’enfants demeurent liés à la pauvreté chronique et aux inégalités de genre. Ce problème est particulièrement préoccupant dans des pays comme le Népal, où près de 40 % des filles sont mariées avant leur majorité.
Enfants dans les Conflits Armés
Malgré la ratification de la Convention relative aux Droits de l’Enfant par 196 pays et du Protocole Facultatif sur l’Implication des Enfants dans les Conflits Armés (OPAC) par 172 pays, les enfants dans les zones de conflit continuent de faire face à la menace grave du recrutement par des acteurs étatiques et non étatiques.Au Yémen, la milice Houthi aurait intensifié ses efforts de recrutement d’enfants, en particulier depuis Octobre 2023. Des enfants âgés d’à peine 13 ans sont recrutés par des institutions officielles comme les écoles, où ils sont endoctrinés avant d’être envoyés dans des camps militaires. De nombreuses familles, confrontées à une pauvreté extrême, accepteraient ces recrutements en échange de promesses de nourriture et d’un soutien financier. Malgré des accords passés avec l’ONU pour mettre fin à ces pratiques, le recrutement se poursuit, exploitant souvent les canaux d’aide humanitaire.Au Soudan, le conflit en cours entre les Forces armées soudanaises (SAF) et les Forces de soutien rapide (RSF) expose gravement les enfants non accompagnés et vulnérables au risque de recrutement. Les RSF ciblent fréquemment les enfants issus de familles pauvres, les utilisant souvent dans des rôles de combat. La situation humanitaire, en constante dégradation, aggrave leur vulnérabilité, avec de nombreux enfants recrutés par nécessité pour survivre ou forcés en l’absence de mécanismes de protection adéquats.À l’échelle mondiale, le rapport 2024 de l’ONU sur les Enfants et les Conflits Armés a noté une augmentation significative du recrutement d’enfants, soulignant le rôle des espaces numériques et des difficultés économiques dans l’aggravation de ce problème. Malgré les efforts pour démobiliser les enfants soldats au fil des années, la tendance au recrutement s’intensifie en raison de la complexité et de l’évolution des conflits modernes.
Geneva International Centre for Justice (GICJ) honore toutes les victimes de l’esclavage moderne et réaffirme son engagement indéfectible à lutter contre cette pratique abominable sous toutes ses formes. S’attaquer à l’esclavage moderne nécessite une coopération internationale renforcée et une application plus stricte des lois sur les droits humains pour combattre efficacement l’exploitation et les abus. Nous exhortons les États à mettre en œuvre des lois et des politiques inclusives et équitables qui intègrent une perspective de genre, offrant des protections ciblées aux femmes et aux filles confrontées aux mariages forcés, tout en garantissant un accès non discriminatoire aux migrants et aux autres groupes vulnérables.
Pour éradiquer complètement l’esclavage, nous devons nous attaquer à ses causes profondes – la pauvreté, l’exclusion sociale et la discrimination systémique – par une action collective et un développement durable. En cette Journée internationale, écoutons les paroles puissantes de Nelson Mandela : « L’esclavage est une création humaine et peut être éliminé par les actions des êtres humains. » Ensemble, œuvrons pour un monde libre d’exploitation, fondé sur la dignité, la justice et l’égalité pour tous.
References
- https://www.ohchr.org/en/press-releases/2023/10/sudan-un-expert-warns-child-recruitment-armed-forces
- https://www.usip.org/publications/2024/07/examining-2024-annual-trafficking-persons-report-progress-over-politics