Huit ans plus tard - Disparitions Non Résolues en Irak

Traduit par Yasmine Titouni/ GICJ 

Au cours des huit années qui ont suivi l'une des plus dévastatrices et marquantes vagues de disparitions de masse, les familles des hommes et des garçons victimes des milices irakiennes ont été injustement réduites au silence et contraintes de vivre leur deuil, subissant l'impunité des criminels responsables.

Pendant cette période, la communauté internationale a manifesté une indifférence totale et n'a pris aucune mesure significative contre le gouvernement irakien. De plus, il est important de noter que Geneva International Centre for Justice (GICJ) a documenté plus de seize mille cas d'enlèvements et de détentions arbitraires à travers l'Irak entre 2014 et 2017.

Bien que le GICJ ait documenté plus de 1 000 cas de disparitions forcées le 5 juin 2016, il est largement reconnu que, ne pouvant être évalué dans son exactitude, le nombre de victimes d'enlèvements et de détentions arbitraires réel est bien plus élevé. Malgré le voile d'obscurité qui enveloppe encore ces atrocités, nous choisissons de nous souvenir des événements inhumains qui ont eu lieu ce jour-là à Falloujah et dans les villes environnantes de Saqlawiyah et al-Azrakiya.

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En juin 2016, les forces militaires irakiennes, aux côtés de la coalition armée dirigée par les États-Unis, ont mené une offensive contre l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL) dans le but de déloger les militants de la ville de Falloujah. Au milieu du chaos, d'innombrables atrocités ont été commises, dont beaucoup résultaient directement des bombardements et des pilonnages des prétendues forces de libération.  Parmi les civils cherchant à fuir les destructions causées par les combats, nombreux sont ceux qui ont été capturés et ont enduré de graves abus. Ce même jour, pendant les combats à Saqlawiyah, une petite ville située à vingt kilomètres à l'ouest de Falloujah, plus de 3 000 civils ont fui les affrontements pour se rendre au poste militaire le plus proche. Là, ils ont été parqués par les milices al-Hashd al-Shaabi dans des installations de détention improvisées. Les conditions de détention étaient épouvantables : les détenus étaient entassés dans de petites pièces mal ventilées et privés de nourriture et d'eau. Les plaintes concernant leur traitement atroce ont été accueillies par de sévères passages à tabac et des fusillades. Des témoins ont rapporté de nombreux décès dus à des exécutions sommaires et à d'autres formes de maltraitance et de torture.

D'après des témoignages, des civils captifs ont été forcés de défiler en rang sous la menace d'hommes armés portant des uniformes de police, bien qu'ils soient en réalité membres de l'Organisation Badr et de Katai’b Hezbollah. Une organisation locale de la société civile, après avoir recueilli les témoignages de victimes d'une humiliation aberrante, estime qu'environ 300 personnes ont été exécutées lors de cette marche. Sur les quelques 650 personnes finalement libérées, beaucoup présentaient de profondes blessures et marques de torture, avec 30 % d'entre elles diagnostiquées comme fracture d’os ou brulure au 3 ème degré. Les 1 000 autres personnes recensées sont portées disparues, et leur sort demeure inconnu.

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Au cours de cette période, GICJ a reçu des informations sur l'enlèvement de plus de 300 personnes du village d'al-Azrakiya. Environ 150 d'entre elles ont immédiatement été assassinées, dont une famille entière de 35 membres, tandis que les autres ont été victimes de disparition forcée.

Immédiatement après, Ján Kubiš, ancien représentant spécial du secrétaire général des Nations unies et chef de la mission d'assistance des Nations unies pour l'Irak, a constaté la disparition de plus de sept cents hommes et garçons irakiens à la suite des opérations militaires menées dans la province de Falloujah. Il a précisé que les auteurs de ces disparitions étaient membres des forces de mobilisation populaire et des services de sécurité irakiens. Ces disparitions ont également été reconnues par le Haut-Commissaire aux droits de l'homme de l'époque, Zeid Ra'ad Al-Hussein, qui a fermement soutenu la mise en place d'une commission d'enquête et de mesures destinées à localiser les personnes portées disparues.

Malgré la reconnaissance par la communauté internationale de ces crimes, les autorités irakiennes n'ont pas su admettre leur responsabilité et contraindre les auteurs de ces atrocités à rendre compte de leurs actes. Au cours des huit dernières années, les familles des disparus ont été abandonnées, les promesses des gouvernements successifs n'ont pas été tenues, et les efforts déployés pour élucider le sort des hommes disparus n'ont finalement pas abouti à des réponses définitives.

Il est important de souligner que l'inaction des autorités découle en partie de leur complicité. L'un des aspects les plus troublants de l'épisode de Saqlawiyah est l'apparente collaboration ou l'assentiment des forces armées régulières irakiennes aux côtés des miliciens, ainsi que les tentatives officielles de dissimuler ou de réfuter leur degré d'implication.

Alors que les coupables et leurs complices conservent le contrôle des pouvoirs économiques et politiques du pays, une véritable justice transitionnelle ou des mécanismes de responsabilisation restent difficiles à mettre en place. Néanmoins, l'Irak est tenu par des obligations légales spécifiques et concrètes concernant la prise de dispositions urgentes et indispensables à l'enquête de ces disparitions. Dans son rapport récent (avril 2023) faisant suite à une visite en Irak, le Comité sur les disparitions forcées (CED) a accentué la nécessité pour le pays de mettre en place des procédures d'enquête sur toutes les disparitions, indépendamment de la date à laquelle elles se sont produites ou de l'identité de l'auteur présumé. En dépit de cela, les familles de Saqlawiyah continuent d'attendre ne serait-ce qu'un semblant de justice.

Geneva International Centre for Justice (GICJ) plaide en faveur de l'ouverture d'une enquête par les Nations Unies et ses entités affiliées, visant à obtenir des informations sur le sort des personnes disparues et à les diffuser auprès de l'ensemble des États. À cet égard, le GICJ appelle à :

  • Prendre toutes les mesures nécessaires pour établir des mécanismes efficaces de lutte contre les disparitions forcées en Irak et assurer que tous les auteurs soient tenus responsables.
  • Mettre en place des systèmes rigoureux d'enquête sur les disparitions non élucidées et localiser les personnes disparues.
  • Reconnaître et soutenir le travail du Comité des disparitions forcées (CED) en Irak, tout en l'encourageant à intensifier ses efforts pour rendre justice aux victimes et à leurs familles.

GICJ rend également hommage à toutes les victimes de disparitions forcées et exprime sa profonde solidarité avec les familles endeuillées, qui restent dans l'incertitude quant au sort de leurs proches. Ces atrocités, souvent résultant de conflits armés et de l'absence d'État de droit, constituent de graves violations des droits de l'homme et du droit international.

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