Rédigé et traduit par Alexandra Guy/GICJ
Le système de santé afghan, déjà fragile depuis des années, est de nouveau ébranlé par l’arrivée au pouvoir des Talibans de l’été 2021. Les femmes sont des victimes majeures de cette crise, notamment dans le domaine de la santé reproductive : contraception, accouchement, suivi de grossesse et suivi post-natal. Le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP) estime que d’ici fin 2021, si la situation persiste, l’Afghanistan pourrait compter 51 000 décès maternels supplémentaires et 4,8 millions de grossesses non désirées.
L’arrivée des Talibans a mené à la fermeture temporaire des hôpitaux, centres médicaux et écoles de sage-femmes pour des « raisons sécuritaires ». Les femmes ont été obligées d’accoucher chez elles pendant cette période, augmentant considérablement les risques de complications. Si le système médical a pu rouvrir rapidement, les conditions de travail rendent la situation toujours extrêmement instable. L’ONU et la communauté internationale se sont engagés à délivrer 1,2 milliard $ à l’Afghanistan pour les soutenir dans cette crise, tandis que le FNUAP tente de limiter les risques encourus par les mères et les nouveaux nés. La crise humanitaire persiste tout de même, et les individus souffrent de l’insécurité et la malnutrition qui mettent en péril la vie des mères et des enfants.
La crise du système de santé afghan ne date pas de la prise de Kaboul par les Talibans. Les femmes ne sont pas ou peu éduquées sur la maternité et la grossesse en raison du manque de services prévus à cet effet. En outre, la nature montagneuse du territoire empêche les femmes en milieu rural d’accéder facilement et sûrement aux centres médicaux, qui se trouvent généralement dans les villes. Pour contrer cette difficulté, le FNUAP a créé des maisons familiales dans les zones rurales les plus reculées. Ces maisons proposent des services de santé reproductive et sexuelle intégrés, y compris pour la jeunesse, promeuvent l’égalité des genres et réalisent des analyses de données sur la situation du pays. Cependant, les 172 maisons familiales implantées ne touchent que 10% de la population. 40% des accouchement se font à domicile, et plus de la moitié des femmes et nouveaux nés n’ont pas accès à un suivi post-natal. En 2009, selon le Fonds des Nations Unies pour l’enfance, le taux de mortalité maternelle en Afghanistan était le second le plus élevé au monde. Tout en restant un pays extrêmement dangereux pour les femmes enceintes, la situation s’améliorait doucement. L’arrivée des Talibans au pouvoir pourrait effacer toute progression.
Le rôle des sage-femmes est particulièrement menacé. Les règles et principes moraux des Talibans stipulent que la femme ne doit absolument pas travailler. Cependant, les activités menées par les sage-femmes sont également interdites aux hommes, car elles font partie de la vie privée des femmes. L’application de ces deux principes laisseraient les postes de sage-femmes vacants, posant un danger évident pour les mères et les nouveaux nés. En outre, étant donné que les femmes ne peuvent quitter leur domicile qu’en compagnie d’un gardien masculin, les déplacements et activités des sage-femmes et de leurs patientes sont limitées. Pour l’instant, les Talibans ont donc accepté que les sage-femmes exercent leur profession, mais des cas de violences physiques ou verbales contre les travailleuses ont prouvé que cette décision était loin d’être unanime. De plus, les sage-femmes ne perçoivent plus de rémunération pour leurs activités, qui devient de l’ordre du bénévolat. Par conséquent, beaucoup de femmes craignent d’aller au travail ou quittent le pays. Des mères sont privées du choix du lieu de leur accouchement par manque de service, et s’exposent involontairement aux risques de l’accouchement à domicile.
Geneva International Centre for Justice (GICJ) rappelle que toutes les femmes doivent avoir la possibilité et la capacité de travailler si tel est leur désir. Toutes les sage-femmes devraient être rémunérées pour leurs activités professionnelles, au même montant qu’un homme, et devraient pouvoir pratiquer dans un environnement sain et sûr.
L’insécurité de l’emploi de sage-femme n’est pas le seul obstacle auquel les femmes enceintes font face. La situation rend l’accès aux centres médicaux encore plus limité. Une fois arrivées, les femmes ne bénéficient pas de médicaments, anti-douleurs et nourriture adaptés, le système médical étant à court de fonds. Afin de réduire la gravité de la crise sanitaire, l’ONU a fait un appel d’urgence à la communauté internationale pour 606 millions de $.
GICJ s’inquiète de l’aggravation de la situation en Afghanistan. Nous pressons la communauté internationale de répondre à l’appel financier de l’ONU. Nous saluons l’initiative du FNUAP et soutenons leur volonté d’étendre leur action en créant plus de 1 000 maisons familiales en Afghanistan. Toutes les femmes devraient avoir accès à un système d’accouchement sûr et à la connaissance nécessaire pour leur bien-être pendant et après la grossesse.
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